Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/945

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce Nicolas Thoynard, à qui s’adresse la plus grande part des lettres du nouveau recueil, était lui-même un personnage des plus singuliers, avec la riche variété de ses dons, et l’impuissance désastreuse où il semble avoir toujours été d’en tirer aucun parti sérieux et durable. Né en 1629 à Orléans, d’une vieille famille bourgeoise, il était venu de bonne heure à Paris, où son érudition à peu près universelle n’avait pas tardé à lui valoir une notoriété considérable. Géomètre, physicien, naturaliste, menant de front la pratique des sciences avec celle de l’histoire sacrée et profane, il avait la tête pleine d’inventions mer veilleuses, mais dont les unes lui étaient volées par des confrères sans scrupule avant qu’il se fût décidé à les publier, tandis que d’autres, plus nombreuses encore, ne parvenaient pas à l’intéresser suffisamment pour qu’il se donnât la peine de les mettre au point. Semblablement, le malheureux Thoynard devait mourir à près de quatre-vingts ans, le 5 Janvier 1706, sans avoir réussi à terminer l’important ouvrage dont on peut bien dire que son ami Locke en implorait l’achèvement dans toutes ses lettres, — exceptée précisément celle que je viens de citer : « une harmonie » chronologique de l’Ancien et du Nouveau Testamens. Seule, l’'Harmonie des Évangiles a enfin paru, au lendemain de sa mort, et lorsque déjà maintes autres compilations analogues l’avaient précédée, toutes plus ou moins inspirées de l’idée de Thoynard.

Mais celui-ci n’en restait pas moins, lors du premier grand séjour de Locke à Paris en 1678, l’un des savans parisiens dont le commerce avait de quoi ravir et honorer le plus parfaitement un « amateur » étranger ; et aussi comprend-on sans peine que le jeune médecin anglais l’ait rangé au nombre de ces viriuosi auprès desquels il priait son ami Boyle de vouloir bien l’introduire. Sa correspondance avec Thoynard s’ouvre par une brève série de lettres écrites d’Orléans et d’Angers, durant l’été de 1678, et qui, sous leur ton respectueusement « détaché, » nous révèlent déjà la naissance d’un lien particulier de sympathie entre les deux chercheurs. Locke n’y tarit pas en éloges sur la précieuse obligeance de Thoynard, tout en lui demandant de partager les complimens qu’il lui adresse avec un groupe d’abbés de son entourage. « En vérité, monsieur, lui dit-il, vos abbés sont extraordinaires ; et si tous les abbés en France seraient comme ceux dont vous m’avez donné connaissance, il n’y aurait rien de si excellent que cette sorte de gens ! » Souvent encore, par la suite, il enverra ses amitiés à ces « abbés » de Thoynard, parmi lesquels se trouvent, en effet, des figures remarquables comme celles de l’abbé Gendron, créateur de l’étude du