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démocratique, la liberté et les droits individuels, dont le respect est la mesure de toute vraie liberté, n’ont, contrairement à de spécieuses illusions, rien à en espérer. » Ainsi la démocratie aboutit à la tyrannie au nom des droits de l’État et des intérêts généraux, à l’anarchie au nom des droits de la commune et des intérêts locaux ou de classe. Anatole Leroy-Beaulieu s’apitoie, en un passage éloquent où l’on sent vibrer l’accent de ses déceptions personnelles, sur la ruine des anciennes espérances des libéraux.

Mécomptes dans les questions nationales. On avait cru renouveler, par l’application du principe des nationalités, la base des relations internationales ; « de l’égale liberté des nations devait sortir la fraternité des peuples. » Mais on avait mal défini ce que c’est qu’une nation, et il s’est trouvé un Bismarck pour « ramener hypocritement l’Europe au vieux droit de conquête. » Au principe national, la démocratie tend à substituer l’internationalisme.

Mécomptes dans les questions religieuses. On se flattait de résoudre la question des relations de l’Église et de l’État par la liberté et la tolérance ; mais l’État démocratique s’est laissé entraîner à l’irréligion, à la guerre contre la religion. Même la séparation de l’Église et de l’État ne serait pas un remède, car l’Etat ne peut pas ignorer les religions et elle serait, par ailleurs, funeste à la puissance française[1].

Mécomptes dans les questions économiques. Là aussi on s’était flatté de tout résoudre par la liberté, en proclamant l’incompétence de l’État ; là aussi on aboutit à un échec ; partout la démocratie fait appel à l’État ; l’Allemagne est étatiste, l’Angleterre elle-même le devient.

Ainsi l’avènement de la démocratie a dérangé les calculs du libéralisme. Le problème est aujourd’hui de concilier la démocratie et la liberté, car la liberté est d’autant plus nécessaire que la démocratie est plus triomphante et plus portée à abuser de sa victoire. Au surplus, les choses politiques sont contingentes ; il ne faut pas essayer de les plier à la rigidité d’une doctrine. « La vérité, c’est que, en politique, il n’y a pas d’ordinaire de solution définitive ; c’est que les doctrines absolues ne peuvent s’appliquer, dans toute leur intégrité, au monde mobile des

  1. Le même volume contient une intéressante étude, qui date de 1886, sur la séparation de l’Église et de l’État.