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le livre : la Papauté, le socialisme et la démocratie[1] qu’il écrivit à propos de la mémorable encyclique de Léon XIII sur la Condition des travailleurs. Il avait trop le sens inné de la grandeur morale, il avait une idée trop élevée du magistère spirituel de la Papauté, pour ne pas admirer de toute son âme le geste historique du Pape, gardien et interprète de la morale éternelle, qui a tracé, en face des conditions nouvelles du travail issues de l’industrialisme, les droits et les devoirs des employeurs et ceux des travailleurs, et les voies qu’il faut suivre pour aboutir à la paix sociale. Au point de vue religieux, Anatole Leroy-Beaulieu apprécie la portée de l’initiative hardie qui aurait pu, si elle avait été mieux comprise des catholiques et des travailleurs, faire du Saint-Siège l’arbitre suprême de la justice dans les rapports sociaux, le tuteur impartial de tous les droits. Ainsi avaient, de tout temps, parlé les Pères et les Docteurs ; ainsi avaient agi autrefois les grands pontifes pasteurs des peuples, législateurs des sociétés ; ainsi, à son tour, parlait leur successeur. Le moraliste qu’est avant tout Anatole Leroy-Beaulieu applaudit au langage de Léon XIII : « Les riches, les hautes classes, sont inconsciemment les grands facteurs du socialisme. Leur vie est une prédication contre la société. Combien se préoccupent de la mission sociale de la richesse ? La légitimité de la fortune est sans cesse mise en question par la façon dont le monde en use et en mésuse... » Mais, du point de vue économique, il fait quelques réserves et exprime certaines craintes ; ce qui l’inquiète, c’est l’intervention de l’État, l’Etatisme. Et il est curieux, ici, de voir son « libéralisme » anti-étatiste aux prises avec le sentiment profond de la justice qui est l’essence de sa nature morale. Il reconnaît que l’enseignement du Pape est bien « la justification philosophique du droit d’intervention de l’État. » La difficulté est dans l’application, dans la fixation d’une limite. « D’hommes qui n’admettent en aucun cas l’intervention de l’État, j’avoue que, pour ma part, je n’en connais point. » Le laissez faire absolu n’est ni possible, ni souhaitable. « L’État, notamment, est tenu de veiller à la liberté aussi bien qu’à l’exécution des contrats, au respect de la morale et de la dignité humaine dans l’atelier et dans l’usine, à la sécurité du travailleur dans la

  1. 1 vol. in-12 ; 1892. Calmann-Lévy.