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et moins gênans, » murmura-t-il. Les points lumineux qui, par endroits, dessinaient des grappes s’espacèrent en effet aussitôt et dansèrent comme des lucioles. L’intensité du feu diminua, mais non la furie des invectives. Les assaillans, invoquant la solidarité zaër, invitaient à la désertion partisans et goumiers, et les échos se renvoyaient les chapelets d’injures d’une richesse insoupçonnée par les cochers parisiens.

Cependant, le ciel blanchissait à l’Orient. Avec une agilité discrète, le chef du convoi faisait déjà bâter ses animaux ; le personnel de l’ambulance abattait les tentes et fermait les paniers. L’escadron se massait sans bruit dans un vallon défilé. Mais, grâce à la clarté naissante qui décelait ces préparatifs, l’ennemi comprit que l’instant était propice pour fixer la colonne sur sa position, semer le désarroi, augmenter les pertes et tenter une attaque brusquée. Ses fusils firent rage pendant que des groupes de guerriers se faufilaient à travers les palmiers nains pour se rapprocher des tranchées qu’ils supposaient mal gardées. Il fut promptement déçu. Tout à coup la sonnerie : « En avant » retentit. L’offensive prévue se déclancha. Comme un éclair, baïonnettes hautes, l’infanterie jaillit hors du bivouac, et la cavalerie, dans un galop furieux, balaya la zone de marche de la colonne vers le Sud. Pointis béa d’admiration. Les fantassins gravissaient allègrement les pentes, et les Marocains affolés ne tentaient pas de les arrêter. Le cercle de feu était rompu de toutes parts. Sur les hauteurs abandonnées par les assaillans, nos troupes s’arrêtaient pour tenir par leur tir l’ennemi à distance et protéger l’écoulement du convoi.

Or, l’adversaire semblait se ressaisir. Du tertre où il s’était placé, Pointis le voyait esquisser une manœuvre désespérée. Des burnous s’agitaient en signe d’appel sur un piton voisin où les guerriers couraient se rassembler à l’abri des roches. Il voulut assister au dernier acte du drame et, comme Imbert devait ce jour-là commander l’arrière-garde, il alla vers lui.

Dans son ignorance de la tactique marocaine, il espérait voir une charge folle des dissidens, lancés en ruée foudroyante à travers le rideau d’infanterie jusqu’au convoi qu’ils disperseraient pour le piller. Mais Imbert souffla sans pitié sur ces illusions : « C’est bon pour les « nègres du Soudan, » comme on dit en Algérie, de se faire sottement tuer en plein jour dans une attaque sans merci. Le Marocain n’oublie jamais qu’il est père