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Pointis et son adjoint, il pouvait surveiller sa troupe et les tentatives de l’ennemi. Celui-ci esquissait des pointes bientôt arrêtées par une « bande » ou l’adresse de quelques bons tireurs. La nature du terrain, le dispositif adopté pour l’attente rendaient en outre impossible tout mouvement enveloppant vers le convoi, suivant la formule qu’affectionnent les Marocains. L’ensemble donnait une telle impression de sécurité que Pointis ne put s’empêcher de conclure : « Il avait raison, cette nuit, le colonel : ça finira très bien ! » Imbert approuva : « Vous voyez, cher ami, que la guerre au Maroc n’est pas bien difficile. Avec du sang-froid chez les chefs, de l’initiative et du bon sens chez les subordonnés, on doit sortir avec honneur des situations les plus embarrassées. Je ne pense pas qu’une troupe nombreuse, encombrée d’un lourd convoi, puisse jamais être placée par les circonstances dans des conditions plus mauvaises que celles de notre bivouac. Les « farouches Zaër » ont fort bien manœuvré. Ils ont fait une copieuse consommation de cartouches : à 20 sous chacune, beaucoup de leur argent est parti en fumée. Cependant, malgré le clair de lune, malgré les belles cibles que nous leur offrions, nos pertes ne sont pas fortes. J’ai entendu parler d’une dizaine de tués, d’une trentaine de blessés, et nous ne laissons pas plus d’une douzaine de bourricots et de mulets sur le terrain. Vraiment, ce n’est pas cher ! » L’officier adjoint protesta : « Le combat n’est pas fini ! Nous allons sûrement être accompagnés quand nous partirons à notre tour. » Et il montrait deux blessés que les brancardiers emportaient : « Bah ! reprit Imbert, notre immobilité momentanée en est la cause. D’ailleurs, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. On oublie trop souvent cet axiome au Maroc. Des rencontres qui passeraient inaperçues comme d’insignifiantes escarmouches dans une guerre d’Europe sont toujours, ici, qualifiées de « sanglans combats. »

La causerie continua ainsi, parsemée de silences. Les cavaliers marocains avaient renoncé à faire admirer leur audace. Ils ne venaient plus, dans un galop de fantasia, faire volter leurs chevaux à 200 mètres des tireurs, et leurs groupes de fantassins n’affrontaient plus les rafales des mitrailleuses. tapis derrière les rochers, ils sentaient la partie perdue, mais, dans leur vanité, ils guettaient le départ de la troupe, afin de pouvoir s’attribuer le succès par la possession du champ de bataille.

Ils ne devaient pas attendre longtemps. Un chasseur