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Paroles ou écrits, même insignifians, sont pour eux des titres qui consacrent leur influence et qu’ils entendent monnayer. Malgré leur aspect opulent, ils ont les dents longues et le ventre creux. »

A ce moment, le chef du service de Renseignemens sortit de sa tente pour donner audience à ses administrés. Par son rôle il était l’Eminence grise de la colonne, et il en était fier. Cependant, il s’arracha des mains qui l’agrippaient en gestes d’une exubérante cordialité, pour échanger avec Imbert et ses amis des congratulations courtoises. Pointis, que les commentaires de Merton avaient intrigué, profita de la rencontre pour s’étonner du hasard qui faisait converger en même temps sur le rocher d’Hadjerat la colonne et les solliciteurs : « Tout se sait au Maroc, lui fut-il répondu, et les nouvelles vont vite. Ces gens-là ont compris que nous voulions en finir avec les Zaër, et que nous laisserions des postes dans leurs districts les plus reculés. Ils sont venus pour le règlement des comptes, en devinant que nous resterions quelque temps ici. Chacun a cru arriver le premier. » Et, tandis qu’ils s’éloignaient, Imbert et ses amis entendirent un bourdonnement de voix insinuantes : « N’oublie pas que le cheikh Mohammed, des Ouled Moussa, m’a volé trente moutons l’an dernier... Tu m’as promis, t’en souviens-tu, de me nommer caïd des Ouled Daho, à la place de cette canaille d’Hammani !... » Les cliens parlaient tous à la fois, et Merton conclut : « On aura fort à faire pour se débrouiller dans ce chaos de rancunes, de convoitises, de doléances légitimes et de sermens fallacieux. »

Pendant les jours suivans, les troupes aménagèrent leur bivouac pour un long séjour. Les événemens qui s’accomplissaient autour de Marrakech imposaient à la colonne un arrêt indéterminé. Ils avaient fixé au Sud le théâtre principal des opérations, et toutes les forces disponibles du Maroc étaient employées dans la lutte contre El Hibba. Des soucis plus pressans faisaient oublier la prompte soumission des Zaër qui, naguère, était ardemment désirée. A cette évolution imprévue, la colonne avait perdu, avant son départ, un bataillon, un escadron, et surtout son beau convoi de chameaux, remplacé par de lamentables animaux réquisitionnés en toute hâte, qui la condamnaient à l’immobilité. Même l’occupation d’un plateau rocheux à quelques kilomètres ! d’Hadjerat-ben-Naceur, pour y fonder