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bouleversa. Il s’était accoutumé à l’engourdissante inaction de l’expectative, et il n’espérait plus en sortir que pour le retour dans sa petite garnison. Or, l’autorité supérieure, désormais sans inquiétude vers le Sud, rendait la liberté de manœuvre à la colonne des Zaër. On allait fonder un poste sur les confins des Zaïan et des Tadla, et Ton se tournerait ensuite contre les Zemmour qui menaçaient la route de Rabat à Fez : « Quand partons-nous ? avait demandé Merton. — Demain. — Qui doit commander le poste ? — Je l’ignore, le colonel n’en a pas encore parlé. — Sait-on au moins s’il y aura bataille ? — Les Beraber, appelés par les Bou Acheria, rôdent aux environs. Si notre mouvement est éventé, leur harka pourrait bien aider les dissidens à nous barrer la route. — Dieu vous entende ! Voilà longtemps qu’on ne s’est cognés. » Merton alors s’éclipsa prestement pour annoncer à Imbert la joyeuse nouvelle, et son interlocuteur reprit en maugréant ses passe-temps stériles de gratte-papier.

Déjà les projets de départ étaient connus dans le bivouac. Officiers et soldats semblaient s’éveiller d’une longue léthargie. Des quolibets et des chants fusaient sous les tentes et les abris de feuillages, tandis qu’une activité prudente inspirait le nettoyage des armes et l’inspection des fournimens. Imbert ne manifesta donc aucune surprise quand Merton lui révéla les plans qu’il croyait être encore le seul à connaître : « Ah ! vous saviez ?... M. Pointis lui-même est au courant sans doute ?... dit Merton vexé. Vous savez aussi, peut-être, qui sera le commandant du poste qu’on doit fonder à Sidi Kaddour ? — Justement, ne vous en déplaise. C’est moi-même, pour vous servir. » Imbert à son tour raconta les péripéties de la conférence où s’était décidé son sort. Il s’en déclarait satisfait : « Songez donc ! j’aurai ce qu’on appelle un beau commandement : trois compagnies, un goum mixte, une section d’artillerie, une de mitrailleuses ; c’est-à-dire plus de 800 hommes. Un poste à construire, un secteur de sept tribus à organiser, des voisins turbulens, et pas de télégraphe ! Tous les bonheurs à la fois. » Puis, coupant les effusions de Merton qui le complimentait, il ajouta d’un air narquois : « Ah ! j’oubliais... J’ai demandé au colonel, qui l’accorde, votre nomination d’officier de renseignemens du poste. J’aurais dû vous consulter. Cela vous ennuie, peut-être ? — Ma foi non. Je le souhaitais sans oser le dire. » Et il se confondit en remerciemens.