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il tenait « son affaire » dont il pouvait espérer une légitime récompense. Et comme il était bienveillant et sympathique, chaque officier s’empressa de le complimenter. Pointis n’y manqua pas. Il n’oubliait pas, quoique « civil, » qu’il était officier de réserve, et l’allure de l’affaire lui plaisait. Il lui trouvait un petit air d’offensive résolue qui contrastait avec la timidité méthodique dont les gens de guerre au Maroc inspiraient trop souvent, croyait-il, leurs périodiques opérations. Tout joyeux encore du spectacle auquel il venait d’assister, il héla Imbert qui se dirigeait à pas rapides vers son groupe immobilisé sur le plateau : « Hein ! vous les avez vus, les fameux Beraber ? Pensiez-vous qu’ils détaleraient si prestement ? — Les praticiens de la guerre marocaine en sont tout désorientés, lui répondit Imbert. Il paraît d’ailleurs que c’étaient des « semble-Beraber, « comme on dirait à Toulon. Les « vrais » nous auraient, dit-on, attaqués au couteau, tellement ils sont braves. Vrais ou faux, c’est encore une légende qui s’en va ! Mais l’affaire a été bien menée. Avec de l’hésitation, le combat d’infanterie dans ces roches aurait pu nous coûter cher. »

Les pertes, en effet, n’étaient pas graves. Quelques blessés et trois tués seulement occupaient les brancards de l’ambulance dont les marabouts se dressaient déjà sur le plateau. Mais, par un hasard extraordinaire, chacune des trois races représentées dans la colonne payait de l’un des siens cette nouvelle étape de la domination française dans le sauvage pays zaër : un marsouin, un sénégalais, un goumier avaient donné leur vie pour la fondation du poste de Sidi-Kaddour.

Selon l’usage, les victimes du combat devaient être évacuées sans délai sur Camp-Marchand. Mais, cette fois, on pouvait faire exception pour les morts. Ils dormiraient en paix près de la garnison qui devait achever dans ce district lointain l’œuvre de la pacification. Tel était l’avis du médecin-chef, malgré les hésitations du colonel qui décida de consulter Imbert : « Etes-vous superstitieux ? lui demanda-t-il. — Non. Pourquoi ? — Parce que vous pourriez considérer comme un mauvais présage l’inauguration d’un cimetière au jour, où je crée le poste que vous devez commander. — Bah ! mon colonel, les anciens conquérans noyaient dans les fondations des villes nouvelles les cadavres des victimes sacrifiées aux dieux protecteurs de la cité. Nous adapterons leurs coutumes au devoir du temps présent. »