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d’aujourd’hui. Le Français, le Sénégalais, le Marocain qui vont dormir ensemble dans le cimetière de Sidi-Kaddour appartenaient à trois races longtemps ennemies, qu’une intelligente et mystérieuse volonté fait maintenant travailler en commun au triomphe de la civilisation. Sur cette terre marocaine où tant des nôtres périrent dans l’esclavage, où tant de noirs furent vendus comme du bétail, la France, fidèle à sa mission séculaire, prend une éclatante revanche. Elle réunit sous son drapeau les fils des oppresseurs et des opprimés, les fond dans le même amour de l’ordre et de la justice, dans le même respect de sa force et de sa grandeur, et les lance à l’assaut de la barbarie. Ces trois morts pour la cause commune doivent donc être, pour nous autres soldats, un emblème de fraternité. Je vous demande instamment de leur garder une place dans vos réflexions comme dans votre souvenir. »

Et, se tournant successivement vers les pauvres dépouilles couchées sur le sol, le colonel leur adressa le salut militaire, si noble dans sa simplicité.

Sénégalais et goumiers se précipitèrent aussitôt vers leurs morts pour accomplir les derniers rites, tandis qu’une houle secouait les rangs des officiers et des soldats français. Une hésitation alors passa sur le visage tanné du colonel qui, d’un geste, les immobilisa : « Messieurs, reprit-il d’une voix claire, ces Africains, qui sont nos inférieurs par l’éducation et la mentalité, nous donnent en ce moment un bel exemple. Ils ont une religion et ils n’en rougissent pas. Quelqu’un sait-il à quelle confession appartenait le soldat mort ? » Dans le silence, un souffle timide s’éleva : « Il était catholique, mon colonel. — Sait-on s’il était pratiquant ? » A cette question nul ne répondit : « Sans doute, reprit alors le colonel, la famille serait heureuse d’apprendre qu’une prière a été dite sur la tombe de son fils. L’un de vous veut-il rendre à son camarade ce dernier devoir ? » Nul ne bougea. « Personne, parmi vous, ne se souvient de ses prières d’enfant ?... » Des regards s’échangèrent, interrogateurs et furtifs ; des pieds s’avancèrent, vite retirés. Ces hommes qui méprisaient les balles, qui recherchaient les corps-à-corps sanglans avec de féroces ennemis, étaient glacés par le respect humain. Malgré la majesté de la scène, ils craignaient de paraître ridicules par un acte conforme cependant à leurs secrets désirs. « Eh bien ! reprit le colonel avec simplicité,