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comme lui. C’est vous, pays charmant, qui réunissez tout. Pays enchanteur, vous êtes fait pour ressusciter dans vos jardins l’Arcadie heureuse. Rendez votre terre digne du séjour d’Astrée. Ne la privez pas des dons qu’elle a reçus de la nature en abondance, pour les remplacer par ceux de l’opulence. Vos cascades de marbre, vos magnifiques statues, vos pavillons superbes, vos sentiers mis en berceau et vos jets qui menacent le ciel ne valent pas un trône de gazon. »

Cette propagande par la brochure, par la conversation, par le voyage, a porté ses fruits. Donnant l’exemple chez eux, des princes du sang ont rompu hardiment avec les traditions de Louis XIV. A Chantilly, le jardin anglais du prince de Condé a bouleversé le dessin de Le Nôtre. Le duc de Chartres, toujours à l’affût des nouveautés et surtout des nouveautés venues d’Angleterre, achève dans la plaine Monceau une création entièrement conforme aux principes en honneur au delà de la Manche. Elle possède toutes les « ruines » et « fabriques » qu’on y prodigue, et Carmontelle, écrivant sur Monceau, loue le prince d’avoir fait » d’un jardin pittoresque un pays d’illusion. « Marie-Antoinette a dû prendre à le parcourir un plaisir extrême. On l’a conduite aussi, dans le faubourg Saint-Germain, voir une des curiosités de Paris, l’hôtel Biron. Mercy note cette promenade instructive, au mois d’octobre 1773 : « Madame la Dauphine est venue toutes les semaines à Paris ; elle y a vu le salon des peintures, la galerie des plans (au Louvre), quelques magasins marchands, la foire de Saint-Ovide, le jardin du maréchal duc de Biron. » Mais une partie seulement de ce jardin est dans le genre nouveau, et auprès de la maison, les parterres à la française, encadrés d’allées en ligne droite, répètent, selon l’usage des particuliers, les arrangemens et les perspectives de Versailles.

Marie-Antoinette ne pouvait désirer autour d’elle rien qui rappelât le grand jardin royal, qu’elle avait sous les yeux depuis quatre ans. Il fallait à sa jeune grâce un cadre moins écrasant, à ses plaisirs plus d’aisance, à ses heures de retraite le séjour d’élection d’une âme sensible. Ceux qui l’entouraient l’avaient habituée à dénigrer Versailles et à en méconnaître les beautés profondes. Elle critiquait, comme tout le monde, la grande terrasse trop vaste et sans ombrage, les immenses bassins reflétant une façade jugée démesurée et monotone, la tristesse des