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J’aime un vieux monument parce qu’il est antique ;
C’est un témoin fidèle et véridique
Qu’au besoin je puis consulter ;
C’est un vieillard de qui l’expérience
Sait à propos nous raconter
Ce qu’il a vu dans son enfance,
Et l’on se plaît à l’écouter.
Mais ce pont soutenu par de frêles machines,
Tout ce grotesque amas de modernes ruines,
Simulacres hideux dont votre art s’applaudit.
Qu’est-ce, qu’un monstre informe, un enfant décrépit ?
Il naît sans grâce et sans jeunesse ;
Du temps il n’a rien hérité ;
Il ne sait rien et n’a de la vieillesse
Que son masque difforme et sa caducité.


Le plan d’Antoine Richard tenait de la pure anglomanie, tout rempli par conséquent d’encombrantes magnificences. Son dessin, déjà compliqué à plaisir par les zigzags de ses sentiers et les méandres superflus de ses deux rivières, réunissait sur un étroit espace toutes sortes de décorations disparates : pagode, grand et petit kiosque, volière chinoise, volière turque avec effet d’eau, bains à la turque, théâtre de verdure à la française, sans parler d’une bergerie et d’une vacherie qui pouvaient être dans le genre suisse. Quatre îles étaient formées par le cours des rivières, que des blocs de rochers faisaient dévier à chaque instant. Une pensée plus heureuse, où se révélait le botaniste, était celle des plantations d’arbres rares, tantôt réunis, comme dans les salles de tulipiers et de mélèzes, tantôt isolés sur les pelouses, où trouvaient place des micocouliers, des bouleaux du Canada, des saules de Babylone et des arbres de Judée. Au reste, le voisinage immédiat du petit château demeurait dessiné à la française, avec des fleurs et des ronds d’eau, et l’on n’offrait à la Reine, sous les fenêtres de son salon, que la vue de quelques maigres parterres et d’une orangerie vitrée. Elle lisait assez bien un pian pour s’apercevoir que le plaisir en serait médiocre.

Pouvait-elle aussi penser que les fantaisies de son jardinier, auxquelles ne manquaient guère que le faux temple et la fausse ruine, apparaîtraient bientôt assez ridicules ? Elles lui étaient montrées revêtues du prestige de la mode, et c’était, en toutes choses, celui que Marie-Antoinette subissait avec enthousiasme. Par bonheur, il y avait des gens de goût parmi ses amis, qui