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bien faite pour surprendre. Qu’il y ait lieu de blâmer au nom de la morale le roman et l’auteur même, je n’aurai garde d’en disconvenir. Andrea Sperelli n’est pas l’éducateur idéal. Je ne le proposerai pas aux adolescens comme « professeur d’énergie ; » mais il entre beaucoup d’hypocrisie, vraiment, dans cette ardeur des critiques d’outre-monts à se voiler la face devant ses exploits. Sperelli a eu des pères dans la littérature italienne... et il aura des fils.

Elle a, d’ailleurs, son prix, la franchise de M. d’Annunzio à confesser sa ressemblance avec son héros : « Mon sentiment esthétique, écrit-il, fut très vif et l’acuité de cette qualité toujours croissante devait par la suite produire dans mon existence des excès et des désordres irréparables : les même excès et désordres que j’ai décrits dans mon roman Il Piacere. Dans le personnage d’Andrea Sperelli, il y a beaucoup de moi-même pris sur le fait. »

Entre Sperelli et M. d’Annunzio, la ressemblance, en effet, saute aux yeux. L’écrivain s’est aussi bien dans tous ses livres abondamment raconté et commenté. C’est à la fois un de leurs mérites et une de leurs tares. Personnalité puissamment égocentrique, pour employer une expression chère à la critique italienne, il ramène invariablement à lui-même les sentimens de ses personnages. Sa sensibilité, son imagination si robuste sont foncièrement subjectives. On a remarqué qu’il n’avait pas créé un seul type immortel, ni un Julien Sorel, ni un père Grandet, ni une Mme Bovary. Il n’est pas à prévoir qu’il ajoute une figure à ce musée. Il est trop incapable de sortir de son moi pour rassembler chez d’autres, au prix d’une observation patiente, les traits épars dont se forment de tels personnages. De plus en plus, il façonne ses « grands rôles » à sa propre et à sa seule image. C’est l’indice d’un génie essentiellement lyrique. La poésie lyrique est peut-être, au demeurant, ce que la postérité appréciera surtout dans l’œuvre de M. d’Annunzio et en retiendra. Le même phénomène n’est-il pas en train de s’accomplir pour Victor Hugo ?

La critique de M. Gargiulo, souvent, à mon gré, trop pédantesque et didactique, trop préoccupée d’expliquer et de démontrer, n’en a pas moins des trouvailles heureuses. Je rangerai dans cette catégorie le rapport étroit marqué par M. Gargiulo entre certains romans de M. d’Annunzio et certains de ses recueils