Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est vraiment habile). Et c’est, à ses yeux, une tare ineffaçable. Et puis, « ces âmes populaires abruzzaises, déclare-t-il, nous n’arrivons pas à les voir. C’est l’absence invariable de base historique. C’est l’art d’annunzien de toujours, fondé sur des abstractions. Abstractions, surhumanité, absurdité ! Et laissons là l’Abruzze ancien et moderne qui peu importe. Aligi et Mila ne sont pas des figures humaines. »

Devant ces condamnations sans recours, le lecteur étranger se demande une fois de plus, pour peu qu’il ait admiré la Figlia di Jorio, s’il n’est pas tombé dans un piège tendu à sa simplicité par un poète rompu à toutes les roueries. Qu’il se rassure. Non seulement le public des principales cités d’Italie, mais des juges excellens de la production dramatique en ce pays, mais le plus avisé d’entre eux, j’ai nommé M. Domenico Oliva, partagèrent l’enthousiasme général et s’en expliquèrent. M. Gargiulo nie la couleur locale du drame. M. Domenico Oliva la constate et la célèbre : « L’amour du sol natal fut la muse de l’infatigable inventeur de rythmes et d’harmonies. Ici le sens du pays et de la race vibre puissant et sincère. » Le style poétique, ce style qui excite le dédain de M. Donati, M. Oliva le trouve excellent et parfaitement approprié : « Le robuste archaïsme de celle poésie qui a souvent la saveur du duecento, du lointain siècle où la langue italienne commença à dire d’amour et de douleur, prête à toute la poésie lyrique qui jaillit de la tragédie un accent d’étrange vérité où réside son mérite le plus grand et peut-être le plus durable[1]. » Sur la foi de l’autorité qui s’attache au nom de M. Oliva, continuons, sans arrière-pensée aucune, à goûter la Figlia di Jorio. Il y a bien des chances pour que la postérité ratifie ce verdict favorable de préférence aux condamnations rapportées plus haut.

Les pièces représentées depuis la Figlia di Jorio sont, en revanche, difficiles à défendre. La Fiaccola sotto il moggio (1905), Più che l’amore (1906), la Nave (1908), Fedra (1909), ont déçu le public. C’est le drame intitulé Più che l’amore qui a fait la chute la plus lourde. La morale pseudo-héroïque de cette pièce où M. d’Annunzio, en vertu d’on ne sait quel sauvage idéal, absout un vil assassin, aurait suffi à justifier cette catastrophe ; mais cet ouvrage est en outre rempli d’invraisemblances. Il est

  1. Domenico Oliva, ouvrage cité, p. 400.