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d’or sensible, frémissant comme une lyre, est un de ses legs. Tenez-le avec soin, et promenez-en l’archet dans mes cheveux, que vous aimez et que j’aime plus encore. Mais gare à vous si vous en arrachez un seul, et me faites crier. » Et Troïlus : « Tes cheveux, doux guêpier de caresses gardé par d’innombrables aiguillons, tes cheveux sont la ruche où tu m’enfermes pour jouer de mon cœur, et pour y piquer les dards de toutes tes abeilles… » Si l’on est sensible aux attraits de la littérature et à son charme différent de tout autre, on est ici content. Les jolies phrases ! et qui, dans l’esprit, se placent à côté de l’invocation à Cynthie des Mémoires d’outre-tombe. Ainsi, l’effort qu’il nous demande, cet écrivain le récompense.

Voici Caërdal. Il a toujours été « en passion ; » et on l’a « peu compris. » Il ne sépare pas la pensée de l’action ; mais on agit « avec les armes que le siècle vous prête » et, ses actes, ce sont les livres qu’il accomplissait : nul acte ne lui a paru « digne d’un regard » qui ne fût digne aussi « d’être élevé à la beauté d’une œuvre. » Bref, « il n’a vécu que pour l’action : c’est vivre pour la poésie… Artiste enfin, dans un temps où personne ne l’est, et puisqu’il n’est plus d’autre moyen de dominer sur le chaos, où s’avilit l’action. » Caërdal a un ennemi : le temps. Mais il sait le vaincre ; et, comme il cherche la durée, il atteint à l’éternité. Cela veut dire, et très justement, que l’art est le secret d’éterniser les minutes. À mon gré, la question n’est point alors de savoir si l’œuvre passera les âges : l’œuvre, dès l’instant qu’elle réalise une idée, l’immobilise et la détache de la fuite universelle. Un artiste ne peut-il être défini un homme plus touché qu’un autre de tout ce que la vie contient de mort perpétuelle et qui a résolu de résister là contre ? C’est le paradoxe de l’art ; un paradoxe dont l’héroïsme exalte Caërdal. Il triomphe de la mort, en imagination ; et, comme son imagination réalise sa volonté de pensée, il ne distingue pas le rêve et la réalité. Mais, si Caërdal « perd l’illusion de la durée, son désespoir ne connaît plus de bornes. » La substance de son art : son émoi. C’est son émoi qu’il éternise par le moyen de l’art. Je disais : une idée. Seulement, il n’admet pas l’idée toute pure et, pour ainsi parler, l’idée sans lui. Non qu’il dédaigne l’idée et dédaigne l’objet. Car il diminuerait ainsi sa richesse et, partant, sa joie. Mais il entend réaliser ensemble toutes choses et lui. Je crains de ne pas énoncer les principes de Caërdal aussi clairement que je l’aurais souhaité. Au surplus, il ne cherche pas à être si commode : « Il paraît étranger partout, et ne l’est pas, pourtant. Il a dû s’y faire, à sa vive souffrance. Autour de lui, il crée la solitude. Il ne s’épargne pas lui-même : parfois, Caërdal isole