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P. S. — Je vous ai envoyé mon dernier écrit sur l’insurrection polonaise où j’ai tâché d’être aussi sympathique que possible à l’Autriche.


Paris, ce 7 mai 1863.

Chère Comtesse, vous ne pouviez vous faire pardonner de votre long et coupable silence, qu’en m’annonçant votre prochaine arrivée à Paris ! Et voilà que, tout au contraire, votre lettre du 1er au 7 avril m’apprend que vous renoncez à votre projet de passer par ici. Ç’a été un vrai coup pour moi. Je vous le dis sans phrase, j’ai très peu de joie dans ma vie actuelle, et vous revoir en eût été une très vive et très sérieuse ; je m’étais habitué à cette pensée avec la confiance que vous m’avez toujours inspirée, car je sais par expérience que vous avez coutume de tenir encore plus que de promettre. Vous avez donc été la cause d’une grande peine, d’un grand mécompte. Je ne vous en fais aucun reproche, chère Comtesse, car je n’ai ni le droit, ni l’envie de vous blâmer d’avoir suivi les conseils de la raison, de l’économie, de votre prudence maternelle, et de les avoir préférés à votre inclination. J’ai l’amour-propre de croire que vous auriez quelque plaisir à me revoir aussi, en dehors des autres attraits que Paris doit vous offrir. Il est impossible qu’une amitié aussi vive et aussi reconnaissante que la mienne vous soit tout à fait indifférente. Vous avez donc fait un sacrifice ! Je le crois et je vous en félicite, mais je souffre, et n’ai d’autres ressources que de me faire un mérite de cette souffrance, devant Dieu. Quand nous re verrons-nous ? Cette incertitude m’attriste profondément ! Plus on avance vers la fin de la vie, plus on est convaincu de la fragilité de tous les liens humains, et plus aussi on s’attache à réagir contre cette fragilité par l’espoir et le désir de se retrouver et de se rapprocher quelque peu avant le déchirement final.

Telle est du moins mon impression. Mais je n’ose plus maintenant compter sur vous. J’ose encore moins désirer un nouveau voyage, qui vous ramène dans nos parages, car ce serait désirer que votre santé soit de nouveau compromise. Il faudra donc que, pour vous revoir, j’aille de nouveau en Allemagne et peut-être même en Hongrie. Cette pensée ne me déplait pas, tout au contraire, mais il faudra que mes travaux historiques marchent assez bien, et assez loin pour fournir un prétexte honnête à ce