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excellent médecin qui n’est autre que notre unique et admirable évêque d’Orléans. Je me suis mis tout à fait entre ses mains ; et il s’est occupé de moi avec la tendresse d’une mère. Quand il n’est pas à Paris, il m’écrit des lettres très longues que je garde soigneusement et qui feront un jour honneur à sa mémoire : car il n’y a rien de plus beau que cette sollicitude pour les âmes individuelles, pour les petites douleurs personnelles, chez les hommes que leur génie ou leur autorité place au plus haut rang. Il attribue surtout la maladie morale dont je souffre aux illusions que je me suis faites sur l’Église : « L’Église, mon ami, ce ne sont pas les hommes que l’Église. Les hommes passent, l’institution de Jésus-Christ reste. Les hommes ne sont pas saints, l’institution de Jésus-Christ est sainte : en un mot, l’institution de Jésus-Christ est divine, mais les hommes sont des hommes, et c’est précisément ce qui reste en eux d’humanité qui fait ressortir et éclater la divinité de l’institution. Elle a un côté divin, mais aussi un côté humain. C’est pourquoi il y a et il doit y avoir, dans l’histoire de l’Église, à côté de la lumière, des ombres ; à côté des grandeurs, les défaillances ; à côté de la sainteté, la peccabilité humaine. Le Pape lui-même, chef de l’Église, est infaillible lorsqu’il parle en son nom et dans les conditions où l’infaillibilité lui est promise, mais il n’est pas impeccable. Par une noble illusion de votre cœur, le côté divin de l’Église vous avait fait oublier un peu le côté humain, et, aujourd’hui, votre péril, c’est que le côté humain ne vous voile trop le côté divin... Non, l’Église ne vous a pas trompé, mais vous vous êtes trompé sur l’Église. Vous vous étiez fait un peu une Église à votre gré. La poésie de votre cœur y était pour beaucoup. Vous vous la représentiez un peu comme une princesse belle, charmante, parfaite, malheureuse et persécutée. Et vous vous étiez pris pour elle d’une sorte d’amour chevaleresque, et cela vous semblait beau, comme c’est beau en effet d’en être le champion en ce siècle. Ce qui se passe aujourd’hui ne doit rien vous faire désavouer, ni regretter d’un si noble passé ! Non, vous ne vous êtes pas trompé en servant l’Église : vous avez servi très véritablement la plus simple et la plus grande des causes, et la plus abandonnée. Mais il y a certaines choses qu’il ne faut plus voir ni défendre dans l’Église, parce qu’elles n’y sont pas. Je me suis souvent demandé comment, vous qui avez lu l’histoire, qui connaissez le Bas-Empire