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du sarcasme facile, mais maniant l’ironie avec un à-propos redoutable, toujours châtié en son style, mais non point guindé, comme l’en accusaient injustement ses contradicteurs. Aux grands articles signés, sa facilité lui permettait d’adjoindre de courts morceaux de controverse, revêtus du pseudonyme de Pierre-Marie, ou encore de brefs entrefilets rectifiant une allégation, lançant une nouvelle, orientant l’opinion vers une idée neuve. Grâce à son fonds de connaissances acquises, grâce à son expérience du Conseil d’État et à l’étendue de ses lectures, il pouvait consacrer toute une suite d’études soit au régime municipal de Paris, soit à la candidature officielle (dont il ne blâmait que l’abus), soit aux élections de 1869 (où il soutint vaillamment Augustin Cochin contre Guéroult et Jules Ferry), en même temps qu’il traitait avec compétence du « désétablissement » de l’Église anglicane en Irlande, des avantages d’un Sénat électif, de l’œuvre et de l’influence de Sainte-Beuve.

Par sa plume, le Français salua avec joie la formation du Cabinet du 2 janvier 1870, qui semblait devoir réaliser son idéal de liberté sans révolution ; il mit les ministres en garde contre les rancunes et les pièges de la « réaction, » c’est-à-dire des autoritaires impénitens. Cet enthousiasme fut refroidi par l’intervention du plébiscite et par la démission du trio Buffet-Daru-Talhouët. Sans passer à l’opposition proprement dite, le journaliste se tint dès lors sur la réserve ; au début de la guerre franco-allemande, il fut un des très rares écrivains qui demeurèrent en possession de tout leur sang-froid.

Quand l’investissement de Paris parut probable, le Français résolut de se dédoubler. Tandis que Léon Lavedan allait diriger en province une édition du journal, Thureau-Dangin et Beslay demeurèrent aux bureaux de Paris, où la tenue ordinaire devenait l’uniforme de garde national, où voisins et amis venaient anxieusement aux nouvelles. Très ardent contre le jacobinisme sectaire, Thureau-Dangin n’en participait pas moins à cet état d’esprit, à peu près général parmi les Parisiens assiégés, qui n’entrevoyait d’autre solution à la crise qu’une République conservatrice et libérale ; lui-même s’est appliqué par la suite le dicton humoristique qui avait cours au lendemain du siège : « Quand on avait mangé du cheval, on devenait républicain. » C’est ainsi qu’aux élections de février 1871, il accepta de figurer sur la liste du comité libéral républicain du département