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celle-ci, en maintenant leur unité française, préservait aussi leur individualité régionale. Chacune d’elles, docile aux volontés de la synthèse royale, avait sa réalité particulière ; elle avait ses coutumes, créées par sa spontanéité, consacrées par le temps. Mais voici du nouveau, et qui vient de la capitale lointaine, et qui est imposé subitement, du nouveau théorique et non vivant, du nouveau abstrait.

On n’a pas une opinion assez complexe de la révolution, quand on la juge à Paris seulement ; il faut encore examiner comment ont réagi à son égard les divers élémens de la patrie française. Le prodige, c’est que tout ne se soit pas. immédiatement détraqué. Notons-le, ces législateurs parisiens ou parisianisés ont eu, parmi leur niaiserie néfaste, une sorte d’obscur génie : étant donné ce qu’ils tentaient, c’est merveille qu’ils n’aient pas fait pis encore. Notons surtout, comme la cause de leur demi-réussite, la puissante et admirable vitalité de ce pays, sa souple et magnifique faculté d’adaptation, qui lui permit de survivre à la plus périlleuse aventure. Mais, d’abord, il traversa une terrible crise.

Entre les provinces françaises, le Périgord était, sous l’ancien régime, l’une des plus indépendantes : et, autant dire, l’une de celles que le régime généralisé risquera le plus de gêner dans leurs habitudes ; mais aussi l’une des plus turbulentes et les plus riches en fortes têtes qu’échauffera l’occasion politicienne. De sorte que la révolution, même malfaisante et même déplaisante, séduira les Périgourdins. Avant la révolution, la bourgeoisie de Périgueux constituait une féodalité ; ces bourgeois se disaient « citoyens seigneurs de Périgueux. » Or, cette oligarchie de notables avait créé, en réaction, des goûts, des velléités révolutionnaires ; et c’est de quoi profitera la révolution venue de Paris.

Tout cela, cette crise, avec ses profonds malaises, avec ses incidens ridicules et avec la diversité de ses péripéties, regardons-le dans cette petite ville du Périgord où Joseph Joubert nous conduit. Regardons cette crise autour de Joubert, qui la subit en quelque manière et qui aussi la consacre. Il est le centre du sujet : il en est et la grâce et la dignité.

Joubert n’était pas revenu à Montignac, depuis treize ans que son départ de jeune homme avait si durement peiné sa mère. Ces treize ans, il les avait passés à Paris, presque continuement.