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qui s’apprête à la lapider. Survient « un grand vieillard farouche » qui, la prenant sous sa protection, rappelle ses coreligionnaires à la charité et à l’humilité :


Jugez-moi donc aussi, selon votre équité.
J’ai prié soixante ans, et ma chair est restée,
Dans la soif et la faim, débile et révoltée ;
Certes, pour la dompter, j’ai souffert de grands maux :
J’ai fait mon front semblable aux genoux des chameaux,
Le tenant prosterné jour et nuit sur le sable.
Et je suis cependant un pécheur misérable.


Sauvée par Paphnuce, Thaïs s’humilie.


Elle : « J’ai honte, ô ciel. » Lui : « Pour cette parole,
Dieu rallume ta lampe, ô pauvre vierge folle ! »


Elle accepte la pénitence imposée par le vieil anachorète, brûle tous les présens de ses amans et se laisse enfermer vingt mois dans une cellule vide. La cellule alors ouverte, c’est au tour de Paphnuce à demander sa bénédiction à la nouvelle sainte, qu’un ange conduit, à travers le désert, à une femme mystérieuse :


Aimez-vous, leur dit-il, car le Verbe est Amour.


On le voit, c’est par hasard, et non de propos délibéré, comme dans la Légende dorée et dans le conte de Thaïs, que Paphnuce, ici, sauve Thaïs, et la courtisane ne lui inspire pas les sentimens de jalousie et les désirs charnels que M. France prêtera libéralement à son héros plus tard. Le poème est, en plus d’une de ses parties, assez libre de ton, et comme imprégné d’une chaude poésie sensuelle, mais on n’y trouve pas ce raffinement dans la perversité, ce « satanisme » un peu désobligeant que l’auteur, visiblement, se complaira à y introduire quand il le récrira en prose, — dans une prose très composite, très savante, qui, plus d’une fois, touche au pastiche, mais dont la grâce molle et le rythme alangui atteignent parfois à des effets extraordinaires :


Au matin, il vit des ibis immobiles sur une patte, au bord de l’eau, qui reflétait leur cou pâle et rose. Les saules étendaient au loin sur la berge leur doux feuillage gris ; des grues volaient en triangle dans le ciel clair et l’on entendait parmi les roseaux le cri des hérons invisibles. Le fleuve roulait à perte de vue ses larges eaux vertes où des voiles glissaient