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grâces élégantes du plus fin langage et les plus habiles sous-entendus ne parviennent pas à nous donner le change.


C’est Vénus tout entière à sa proie attachée,


mais une Vénus toute physique, et qui, si elle a jamais eu une âme, en a totalement perdu le souvenir. Les amans de M. France semblent avoir été créés pour justifier le mot de Pascal : « Ceux qui croient que le bien de l’homme est en la chair, et le mal en ce qui les détourne du plaisir des sens, qu’ils s’en soûlent et qu’ils y meurent. » Et ils n’y « meurent » pas, mais ils « s’en soûlent » copieusement. M. Jules Lemaitre qui a écrit, sur le Lys rouge, un article admirable de pénétration et de justesse, a dit bien joliment : « La chose se pourrait passer aisément entre habitués des fortifications ou des boulevards extérieurs… La femme pourrait fort bien être une fille ; le premier amant, quelque rôdeur de barrière, et le second, quelque garçon boucher. Vous apprendriez sans nulle surprise que la femme s’appelle Titine, et l’un des hommes Bibi, et l’autre la Terreur des Ternes. » M. Lemaitre raille à peine : la psychologie des héros du Lys rouge est prodigieusement rudimentaire ; et j’ai tort de parler de leur psychologie ; c’est leur physiologie qu’il faudrait dire.

Pour les relever un peu à nos yeux, M. Anatole France leur a prêté, aux heures, aux rares heures où ils ne songent pas à ce qu’ils considèrent comme « la chose uniquement nécessaire, » des sentimens assez complexes, et dont quelques-uns, semble-t-il, n’ont pas encore fait leur apparition dans son œuvre. Détachés de toute croyance dogmatique, il ne leur est pas indifférent de s’aimer sur la terre de saint François, de Fra Angelico et de sainte Claire, et leur amour se pimente d’une pointe d’esprit « franciscain. » De plus, ces parvenus, ces oisifs, qui jouissent largement de la vie, ne sont pas des pharisiens ; ils ont été atteints par les prédications de Tolstoï ; ils ne sont pas durs aux déshérités de l’existence ; ils éprouvent pour les humbles, pour les simples une sympathie qui paraît naturelle et sincère. Évidemment, ils ne sont pas très assurés de l’excellence de l’institution sociale, et s’ils en sont les bénéficiaires, ils n’en veulent pas être les dupes. Leurs velléités d’altruisme leur sont comme une absolution qu’ils se donnent à eux-mêmes pour leur égoïsme sentimental.