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Ces lignes, en tout cas, pourraient servir d’épigraphe au Jardin d’Épicure. Ce livre où il y a un peu de tout, — des pensées, des maximes, des considérations, des dissertations plus ou moins longues sur toute sorte de questions, des fragmens d’articles de journal, des rêveries, des anecdotes, des nouvelles, des dialogues, — ce livre n’est pas, à proprement parler, un bréviaire d’épicurisme moral : M. l’abbé Jérôme Coignard oublie un peu Jeannette la vielleuse et Catherine la dentellière, et son petit collet ne sort pas de là trop froissé. Il nous apparaît cette fois comme capable non pas seulement de sérieux, mais de tristesse. Déjà, dans les Opinions, il nous avait dit de « celui qui a étudié dans les livres » qu’ « il lui en reste à jamais une fière amertume et une tristesse superbe ; » et, à plus d’une reprise, il se plaignait d’avoir perdu « la paix du cœur, la sainte simplicité et la pureté des humbles. » Le livre même se terminait par une curieuse apologie du cœur : « Les vérités découvertes par l’intelligence demeurent stériles. Le cœur est seul capable de féconder ses rêves. Il verse la vie dans tout ce qu’il aime. C’est par le sentiment que les semences du bien sont jetées sur le monde. La raison n’a point tant de vertu[1], » Ici, dans le Jardin d’Épicure, les mêmes idées reviennent avec plus d’insistance : « Quand on a repoussé les dogmes de la théologie morale, comme nous l’avons fait presque tous en cet âge de science et de liberté intellectuelle, il ne reste plus aucun moyen de savoir pourquoi on est sur ce monde et ce qu’on y est venu faire... Il faut vraiment ne penser à rien pour ne pas ressentir cruellement la tragique absurdité de vivre. C’est là, c’est dans l’absolue ignorance de notre raison d’être qu’est la racine de notre tristesse et de nos dégoûts... Dans un monde où toute illumination de la foi est éteinte, le mal et la douleur perdent jusqu’à leur signification et n’apparaissent plus que comme des plaisanteries odieuses et des farces sinistres. »

Un croyant ne dirait pas mieux. Seulement, ce scepticisme mélancolique et parfois douloureux qui forme comme l’inspiration maîtresse de tout l’ouvrage n’a pas plus de respect pour les argumens du dogmatisme religieux que pour ceux du dogmatisme philosophique. L’immortalité personnelle paraît un leurre à M. France, et il a sur l’impossibilité du miracle, cette

  1. Opinions de M. Jérôme Coignard, p. 150-151, 288.