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femme de chambre : elle ne rentre pas. Si accoutumée que soit Mme de Marliew aux excentricités de sa fille, elle ne peut s’empêcher d’être très inquiète. Arrivée de Thyra : elle est en proie à une grande excitation nerveuse ; elle refuse de s’expliquer ; elle veut rester seule, s’absorber dans son travail…

Mais on ne travaille pas quand on a ainsi les nerfs tendus et l’âme en détresse. Thyra s’est logée en face du sculpteur Lepage, qui est son maître ; elle n’a qu’à ouvrir la fenêtre pour l’appeler, à travers la rue ; et c’est bien commode. Elle l’appelle : il faut qu’elle le consulte sur-le-champ. Et elle exige de lui la franchise : que vaut réellement l’œuvre qu’elle est en train d’exécuter ? que vaut sa sculpture ? a-t-elle du talent, en aura-t-elle ? Lepage est le type du vieux maître bienfaisant et bourru, de l’artiste au verbe rude qui ne badine pas avec la vérité. Ce n’est pas la première fois que nous le rencontrons au théâtre, oh ! non. Un autre, plus parisien et qui aurait plus de monde, s’empresserait de laisser la jeune fille à ses illusions : cela ne fait de mal à personne et cela peut lui faire du bien. Lepage n’a pas de ces lâches complaisances : il déclare tout net à la pauvre enfant qu’elle ne sait pas le premier mot de son métier et que tout ce qu’elle a fait jusqu’ici, ce sont gentillesses d’amateur, sans aucun rapport avec le sérieux de l’art. Qu’elle travaille cinq ans, six ans : on verra après. Thyra ne s’était jamais doutée que, pour savoir la sculpture, il fallût l’apprendre. En bonne romantique, elle s’imaginait qu’il suffit d’avoir du génie. Cette révélation la bouleverse. Elle anéantit la maquette qui commençait à prendre forme. Elle ne fera pas de sculpture. L’art n’y perdra rien, mais Thyra y perd un agréable passe-temps. C’est un espoir brisé. Ce n’est pas le premier, Thyra naguère a cru qu’elle pourrait être une grande cantatrice ; elle avait une voix magnifique : soudain, comme par l’effet d’un mauvais sort, cette voix a disparu. Thyra en est réduite à s’entendre au phonographe, — car elle avait eu jadis la précaution de faire « enregistrer » ses roulades et ses cavatines ! Et c’est pour elle une source de larmes abondantes.

Ni sculpture, ni chant : il reste une poésie, celle de l’amour. Les princesses n’ont besoin ni de sculpter ni de chanter, ce qu’elles font en général moins bien que les sculpteurs de métier et les chanteuses de profession : il suffit qu’elles soient belles et qu’elles soient princesses. Thyra est divinement belle, mais elle ne sera pas princesse. Elle annonce au prince Philippe de Thyeste qu’elle ne veut plus l’épouser. Leur mariage était arrangé, conclu, à la veille d’être célébré. Eh bien ! le mariage est rompu, et voilà tout. D’où vient cette