Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’amour en croisière et en famille. On rencontre sur ces grandes routes du monde la souveraine que la pitié universelle avait surnommée l’Impératrice errante. On dit des choses qui ne riment à rien... Cette première moitié de l’acte est l’incohérence et l’inutilité elles-mêmes. Toutefois, à travers le verbiage de ces divers fantoches, nous démêlons l’histoire des amours de Thyra et de sa maladie de poitrine ; car les deux sujets se tiennent. L’amour décline et la maladie augmente. Philippe trompe Thyra et celle-ci feint de n’y pas prendre garde : c’est la banale fin de liaison. Thyra voulait, avant de mourir, épuiser la coupe des plaisirs : elle en est déjà à la lie. Finalement, dans une scène violente avec le prince, elle lui jette à la face toutes ses rancœurs, tout son dégoût, tout son désespoir. Il ne l’aime plus, il se détourne d’elle, et elle le sait et elle le voit ! Mais pourquoi a-t-il cessé de l’aimer, pourquoi se détourne-t-il quand elle l’approche, et pourquoi évite-t-il ses baisers ? C’est par répulsion physique. Car le mal en elle a fait d’effrayans progrès ; elle le porte sur ses lèvres décolorées ; elle le souffle dans son haleine : elle est celle qui contamine... Paroles atroces, qu’il est impossible d’entendre sans une gêne et un frisson... Après cet éclat, Thyra retombe brisée. Elle pose sa tête défaillante sur les genoux de sa mère. « Berce-moi comme autrefois ! Chante-moi un air de nourrice ! Endors-moi dans une chanson ! »

Il s’agit maintenant de mourir en beauté. Thyra s’en occupe, dès son retour à Paris. Elle lance des invitations. Il y aura des fleurs, des lumières, des parfums, des cigares, des danses et de la musique. Pas de tziganes : c’est une mode tout à fait tombée dans le commun : aujourd’hui, pour être parisien, un orchestre doit être un orchestre persan. Tous les amis de la sympathique poitrinaire répondent à son appel, sauf un, convive mystérieux, dont la place reste vide pendant tout le dîner, mais qu’elle s’obstine à attendre. Nous retrouvons là le vieux sculpteur Lepage, le jeune poète ridicule Corneau, l’inévitable Lignières et aussi un poète anglais à la renommée inquiétante. Thyra leur a promis une surprise. A peine au sortir de table, elle les fait défiler un à un : on prend son tour et on passe un petit examen. « M’avez-vous aimée ? M’avez-vous désirée ? Où ? Quand ? Combien de fois ? » Questions délicates, dont chacun se tire comme il peut. Soudain Thyra quitte ses invités et leur recommande de bien ouvrir les yeux ; alors un pan coupé de la salle à manger s’illumine, et derrière une gaze transparente la maîtresse de maison apparaît toute nue. C’est déjà une jolie surprise ; mais il y aura mieux. La soirée continue ; le convive attendu n’arrive pas ; il ne viendra pas. Alors, comme minuit