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Faire tenir dans le raccourci d’une pièce de théâtre l’antagonisme de l’Orient et de l’Occident est une entreprise qui n’a pas effrayé l’audace de M. Kistemaeckers. Du côté de l’Occident il a mis le devoir et la discipline, du côté de l’Orient la volupté et la cruauté. Cela ne laisse pas d’être flatteur pour notre amour-propre.

Au théâtre, on fait en général assez bon marché des intentions philosophiques d’un auteur : on lui demande surtout que sa pièce soit bien faite. M. Kistemaeckers est parmi les plus habiles manœuvriers de la scène ; il ne m’a pas semblé que sa pièce nouvelle fût aussi bien faite que les précédentes et je n’y ai pas retrouvé son habituelle dextérité. A chaque instant, on s’y heurte à des contradictions, à des inutilités, à des indications qui ne nous mènent à rien quand elles ne vont pas même jusqu’à nous égarer. Nous sommes à Toulon, dans le monde des officiers de marine et des demoiselles faciles : il y a Mlle Joujou, Mlle Touffîane, Mlle Lola : on en a mis partout. Deux types de marins nous sont présentés dans leur saisissant contraste : le lieutenant de vaisseau Cadière, le marin qui a la passion de son métier et le culte de l’uniforme ; l’enseigne de vaisseau Arnaud Meyronay de Saint-Guil, le jeune officier empoisonné de théories pacifistes et d’opium. Cadière a pour Arnaud une affection de frère aîné : il le sermonne vigoureusement et l’empêche de donner sa démission. Voilà un brave homme. Ce brave homme, honneur de notre marine, a ramené de Paris, où il a fait sa dernière escale, une petite danseuse marocaine, rencontrée à Montmartre, Hassouna : il vit avec elle, et c’est bien fâcheux. Nous ne demandons pas aux officiers de notre flotte d’être des ascètes ; toutefois une certaine tenue est de rigueur. Les danseuses marocaines, alors même que ce sont des marocaines de Montmartre, sont pour un officier de marine — ou de terre — des liaisons dangereuses. On va bien le voir. Hassouna apprend, par un vieil Arabe, marchand de tapis, que toute sa famille a été exterminée dans un combat devant Mogador, et que la Fraternité, le bateau exterminateur, avait pour commandant : Cadière. Elle jure de se venger.

Au second acte, coup de théâtre : le jeune Arnaud a disparu, et en même temps que lui la caisse du bord contenant douze mille francs. Nous ne doutons pas que ce ne soit le plan de vengeance d’Hassouna qui reçoit un commencement d’exécution. L’infernale petite danseuse aura affolé Arnaud qui, pour fuir avec elle, aura cambriolé la caisse. Sur ces entrefaites, on vient nous dire que le voleur a été arrêté et que ce n’est pas Arnaud... Alors pourquoi nous avoir conté cette histoire de vol, et pourquoi surcharger