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C’est ici l’un des endroits où l’on peut le mieux voir la forme libre de la déclamation mélodique, tendre, pour ainsi dire, et même atteindre à la forme plus composée et plus régulière de l’ « aria. » Pas de carrure ni de symétrie encore, mais déjà de la régularité, de l’eurythmie entre les périodes ou les membres du discours. De phrase en phrase, le mode, sinon le rythme, change, et, sur le dialogue, avec le majeur et le mineur alternés, passe la lumière et l’ombre. Quelquefois une des questions se termine par un ornement vocal, trille on gruppetto, que l’écho reproduit. Et dans ce bis innocent, avec un peu d’enfantillage, il y a pourtant de la poésie, un effet de lointain et la sensation de l’espace que traverserait une voix du ciel. Mais la conclusion est sérieuse et superbe. Plus d’agrémens ici, ni de gentillesses, littéraires ou musicales. L’âme dit au corps : « Tout ce que le ciel a répondu, je le résume pour toi : quitte les vains plaisirs et n’aime que le vrai Dieu. » Rien de plus qu’une affirmation, qu’un ordre, j’allais dire un « impératif catégorique. » Mais l’accent toujours mystérieux de cette voix, qui toujours aussi paraît venir d’en haut, fait songer d’avance à mainte réponse, tragique et surnaturelle également : l’oracle d’Apollon, dans Alceste, ou, sous les cyprès de Don Giovanni, au clair de lune, la réplique de l’homme de pierre.

« Un chrétien doit être humble, mais magnifique, » disait Louis Veuillot. Le génie chrétien des Primitifs n’aurait pas besoin d’autre devise. En tout cas, c’est l’épigraphe qu’on serait tenté d’écrire sur les dernières pages de l’œuvre d’Emilio dei Cavalieri. Elle se termine, dans la manière forte, par une sorte d’apothéose. D’abord éclate un chœur à quatre voix, une espèce d’hymne ou de psaume biblique, toujours avec réponses en écho, mais cette fois sans intentions imitatives et pittoresques. Nulle part, dans un style partagé constamment entre le récitatif et la mélodie, n’apparaît plus clairement la beauté de ce partage. Après trois siècles révolus, elle a pour nous un air de liberté, voire de nouveauté, qui nous étonne et nous enchante. La sobriété, l’humilité, — puisque nous avons prononcé le mot, — n’ôte rien à la magnificence, et dans la musique sacrée à venir, les trompettes elles-mêmes ne retentiront pas beaucoup plus martiales, plus saintement guerrières, que ne sonnent ici les voix.

L’assurance maintenant, puis l’enthousiasme, a gagné l’Ame, l’inspire et l’exalte. Son dernier monologue, appelant tout l’univers à louer le Seigneur, est une page d’ardent lyrisme, une ode véritable, après tant de pieuses et parfois un peu dolentes élégies. Par le sentiment, sinon par le style, par l’allure héroïque et triomphale, cela n’est