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d’Aquino, qui nous a été décrite par Boccace dans d’autres nouvelles antérieures, en prose comme en vers. Et comme les héroïnes de quelques-unes de ces nouvelles ne se font pas scrupule de trahir leur amant, après l’avoir d’abord passionnément aimé, l’on en a conclu que Marie d’Aquino s’était conduite de la même manière à l’égard de Boccace. Il y a, en particulier, une certaine Alleiram, — simple renversement de « Mariella, » — qui, dans un épisode manifestement autobiographique du Filocolo, procède à cette trahison parmi toute sorte de circonstances si détaillées et précises que l’on n’a pu s’empêcher de regarder celles-ci comme nous offrant l’histoire authentique de la fin des amours de l’auteur avec sa Fiammetta.

Or, il a suffi à M. Torraca d’examiner à nouveau toutes les prétendues preuves de la trahison de Marie d’Aquino pour découvrir que pas une d’entre elles n’avait même de quoi être prise au sérieux. Dans l’une des nouvelles où l’héroïne finit par tromper et délaisser son amant, cette héroïne s’appelle Chriseis (la Cressida de Shakspeare), et son amant se nomme Troïle : force était bien à Boccace de terminer son récit de cette aventure-là comme le lui ordonnaient les traditions qu’il suivait. Alleiram, d’autre part, dans le susdit épisode du Filocolo, aurait pu demeurer fidèle à son jeune amant : mais celle-là ne saurait avoir rien de commun avec Fiammetta. C’est une créature froide et capricieuse, avec cela prompte à abuser des « dons de Bacchus ; » et comment admettre que le conteur, s’il l’avait dessinée d’après Marie d’Aquino, eût osé dédier humblement à celle-ci un portrait d’une vérité aussi déplaisante ? Alléguera-t-on toutefois le nom de Mariella ? Le nom était des plus communs à Naples, et Boccace lui-même fait mention de trois ou quatre Mariella parmi son entourage. Ajoutons que maints autres traits, dans la figure d’Alleiram, contredisent formellement l’identification de cette fâcheuse figure avec Marie d’Aquino[1]. Selon toute probabilité, Boccace aura voulu divertir sa princière maîtresse en lui racontant la triste aventure qui lui était arrivée précédemment avec l’une des trois ou quatre amies dont nous savons à coup sûr que le jeune homme les a connues à Naples, avant de rencontrer sa chère Fiammetta.

De page en page, l’argumentation de M. Torraca se fait plus convaincante,

  1. Il y a bien encore plusieurs petits poèmes, — notamment deux sonnets et un madrigal, — où Boccace se plaint de la trahison d’une de ses maîtresses : mais rien ne nous prouve que cette maîtresse soit Marie d’Aquino, et M. Torraca nous signale, dans les trois poèmes, certains détails qui lui paraissent même aller expressément à l’encontre d’une telle hypothèse.