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versé par une majorité de trois voix. Ces trois voix appartiennent-elles au parti conservateur ? Nullement. Les libéraux ont la majorité au Sénat comme à la Chambre, mais ils se sont divisés, et c’est pour cela que la victoire est passée dans le camp opposé. Les conservateurs n’étaient pas prêts à prendre le pouvoir, et les plus sensés d’entre eux désiraient que les libéraux le conservassent jusqu’à la fin de la législature. On savait que ce désir était partagé par le Roi, qui ne s’en cachait pas : loin de là ! il a fait tout ce qui dépendait de lui pour rétablir l’union entre les libéraux, mais il a eu affaire à des hostilités aussi intransigeantes qu’impolitiques, et ses efforts sont restés vains. Il s’est vu forcé alors de se tourner du côté des conservateurs. Là, nouvelle difficulté : les libéraux déclaraient qu’ils n’accepteraient pas comme ministre le chef du parti, M. Maura, et celui-ci, de son côté, déclarait qu’il ne reviendrait au pouvoir qu’avec son dernier ministère dont quelques membres avaient suscité contre eux des passions et des haines implacables. Tout d’un coup, M. Maura a paru abandonner la lutte et est parti pour la campagne. Alors le Roi s’est adressé à M. Dato, le plus libéral des conservateurs, respecté de tous les partis, aimé même des ouvriers parce qu’il s’est particulièrement occupé de questions sociales et qu’il les préfère aux questions politiques. Le ministère a été rapidement formé. M. Maura, qui avait d’abord annoncé l’intention de le désavouer et de le combattre, est revenu à d’autres sentimens après une conversation avec M. Dato. Peut-être la situation de celui-ci n’est-elle pas très forte : en tout cas, elle est très honorable, et la tentative qu’il a courageusement accepté de faire est digne de sympathie. La crise a été dénouée aussi bien qu’elle pouvait l’être.

Nous n’avons pas à nous occuper des affaires intérieures de l’Espagne, mais ses rapports avec nous nous intéressent en ce moment au premier chef. La politique du Cabinet libéral ayant toujours été amicale envers la France, M. Dato a déclaré tout de suite que rien, à ce point de vue, n’y serait changé. Des deux côtés des Pyrénées, la bonne entente entre les deux pays a pris un caractère vraiment national. Quel que soit le parti qui gouverne, ici et là, cette politique sera durable parce qu’elle repose sur le parfait accord des intérêts et des sentimens.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.