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un seul mot qui montrât qu’il sait et qu’il sent ce que sont en vérité les églises, je serais embarrassé de le rapporter, car je craindrais de lui faire du tort par indiscrétion, mais je puis rendre témoignage qu’il existe une harmonie parfaite entre sa fonction et ses propos. Une si grande question ne l’a jamais fait sortir de son rôle, et pas une fois je ne l’ai vu se dépasser. Ce problème des églises doit lui apparaître purement et simplement comme un groupe d’ennuis. Se demander s’il aime le catholicisme, ce n’est pas une question qui le rejoigne. C’est une question sans objet. Il n’est pas catholique ni anticatholique. Au seul énoncé de ces deux mots, je vois son œil vaguer comme l’œil d’un mauvais élève sur les deux mappemondes pendues au mur. Que des considérations de cet ordre soient mises en jeu, le voilà qui regarde avec désespoir du côté de la fenêtre, vers ce qui est vivant. Ce qui est vivant pour ce juriste, c’est la Chambre, c’est le Sénat, c’est le Conseil d’État. Il ne pense qu’à ces grands corps. Des gens sérieux ne s’occupent pas de quelques vaines lamentations autour des églises. C’est petite chose qui s’apaisera. Une jurisprudence est en train de se faire ; elle suffira pour vous donner satisfaction : ne bougez pas.

Je n’en tire rien de plus, rien qui me serve, rien qui le desserve. Il est tout prudence et optimisme. C’est un praticien de campagne qui a raté le raccommodage d’une jambe et qui déclare avec une bonhomie bienveillante à la famille assemblée : « Ne bougez pas ! qu’il se repose ! laissons faire la nature. »

A quoi bon prolonger cette conversation ! Je ne le ferai pas sortir de ses positions, de son impassibilité courtoise et de ses monosyllabes. Ah ! cet étrange regard que j’ai là devant moi, ces yeux dilatés où il y a trop de blanc, rien que du blanc, un regard froid, qui attend, surveille, se méfie et ne livre rien. C’est le regard du boxeur, du duelliste, de l’homme en garde. Et en même temps, dans la demi-lueur où le laisse la lampe posée près de lui, la seule lumière qu’il y ait dans cette immense pièce, je distingue chez le ministre quelque chose d’excédé. Cet homme, qui ne sent pas la poésie des églises de village, respire cette espèce de romanesque brutal qu’exhalent tant de héros balzaciens. J’emporte de cet entretien, où viennent d’éclater ses supériorités, une vue, bien faite pour désabuser celui qui l’éprouverait trop jeune, des vertus qui font ces brillantes fortunes. Il s’est appliqué à ne me rien donner, à ne pas me froisser