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sonnets de Pétrarque. J’aime mieux les poésies de Grey que les chansons d’Anacréon[1]. »

Lorsque Mme de Staël écrivait ces lignes, la littérature anglaise était, parmi les littératures des peuples du Nord, la seule dont elle pût parler en véritable connaissance de cause. Par les chapitres qu’elle lui a consacrés, entre autres par celui sur Shakspeare qui va bien au delà de ce qu’en avait écrit Voltaire, on voit que le théâtre, la poésie et les romans anglais lui étaient familiers. À la littérature allemande qui, dit-elle, ne date que de ce siècle, — et c’est là une affirmation un peu absolue, — elle ne consacre qu’un court chapitre. Elle fait brièvement mention de Gœthe dont elle parle avec enthousiasme, mais seulement à propos de Werther, de Klopstock, dont elle connaissait la Messiade et de Schiller, dont elle se borne à dire que « ses tragédies contiennent des beautés qui supposent toujours une âme forte. » Son ignorance de la langue allemande l’a visiblement gênée. « Les livres dont vous avez la bonté de me donner la note, écrit-elle à Meister, ne sont-ils pas presque tous en allemand ? Je ne l’ai pas appris depuis votre départ[2]. » Elle n’en continuait pas moins à se préoccuper de l’opinion allemande sur son compte et à être désireuse de faire pénétrer son nom au delà du Rhin. Elle demandait à Meister de lui procurer un traducteur pour un de ses écrits politiques et d’en faire parvenir à Gœthe un exemplaire. Elle ajoute : « En voilà assez de l’auteur femelle. » Ce n’est qu’en 1800 qu’elle prend son parti de se mettre à étudier l’allemand, mais c’est d’abord avec peu de goût. « Je continue l’allemand avec résignation, écrit-elle à Meister, mais je ne conçois pas comment vous avez fait pour écrire si bien le français en sachant si bien l’allemand ; il me semble que l’un exclut l’autre. » Bientôt cependant elle s’enflamme pour cette littérature dont, si peu d’années auparavant, elle parlait avec tant de dédain, et elle s’adresse encore à Meister, qui est son intermédiaire habituel avec l’Allemagne. « Vous allez me trouver bien importune, mais l’ardeur de l’allemand me transporte, » et elle lui demande s’il pourrait lui faire envoyer trois romans allemands dont elle lui donne les titres, un ouvrage intitulé : le Dictionnaire des deux nations, les œuvres

  1. Œuvres complètes de Mme de Staël, t. IV. De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, p. 257 et passim.
  2. Lettres de Mme de Staël à Henri Meister, 27 août 1799, p. 162 et passim.