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Kant et de Fichte. Ces articles parurent de 1798 à 1800. C’était précisément le moment où Mme de Staël préparait la publication de son ouvrage sur la Littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, où elle comptait consacrer un chapitre à la littérature allemande. Nul doute qu’elle n’ait eu connaissance de ces articles et ne s’en soit inspirée dans une certaine mesure, au point même que, dans le Spectateur du Nord, Baudus le lui reprochait. Mais ce qui la mit en relations directes avec Villers ce fut l’ouvrage de celui-ci sur Kant. À Villers revient en effet l’honneur, et par là son nom a mérité d’échapper à l’oubli, d’avoir fait le premier connaître en France la doctrine du philosophe de Kœnigsberg, ou du moins d’avoir consacré une étude intelligente et approfondie à cette doctrine qui n’avait été jusque-là l’objet que de discussions superficielles. Au commencement d’août 1801, il faisait paraître à Metz : la Philosophie de Kant ou Principes fondamentaux de la philosophie transcendantale, avec une dédicace à l’Institut, qui était ainsi conçue : « À l’Institut National de France, tribunal investi d’une magistrature suprême dans l’empire des sciences, juge naturel et en premier ressort de toute doctrine nouvelle offerte à la Nation. »

Peu de temps après, escortant le ménage de Rodde, il venait passer quelque temps à Paris où son ouvrage avait donné lieu, dans une séance de l’Institut, à des débats fort vifs, et fait assez de bruit pour que Bonaparte demandât que la philosophie de Kant lui fût résumée en quatre pages, « pas davantage. » Villers eut à Paris peu de succès, son ton hautain et son attitude agressive lui ayant fait des ennemis. Mme de Staël n’était pas à Paris, mais il entendit beaucoup parler d’elle par les amis dont elle avait coutume de s’environner, les Suard, Fauriel, Stapfer. Il dut apprendre de leur bouche que son exposé de la philosophie de Kant avait été lu par elle avec beaucoup d’intérêt et qu’elle avait été séduite par la doctrine. Elle n’aperçut pas que cette doctrine n’aboutissait à rien moins qu’à ébranler les fondemens mêmes de la certitude, et elle fut séduite par ce qu’il y avait de noble dans la tentative de rétablir la croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme sur la base de la morale, de l’Impératif catégorique. Elle y vit surtout une réaction contre la philosophie sensualiste et matérialiste qui avait triomphé au XVIIIe siècle et dont Cabanis venait encore