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grande tradition classique du libre-échange intellectuel par-dessus les Pyrénées.


Mais, déjà, l’Espagne vivante était sous mes yeux. J’habitais l’Algérie, et, tout de suite, dans cette mêlée de peuples méditerranéens qui se disputent le fruit de la conquête française, l’Espagnol me frappa par son âpreté au gain, son endurance à la peine, son opiniâtreté, et aussi par une dignité extérieure, une fierté d’attitude, qui me rappelait la belle rudesse de la vertu romaine.

Ces qualités, comme toutes les caractéristiques du tempérament national espagnol, ressortaient davantage encore à mes yeux, dans ce terroir si mélangé de l’Afrique du Nord. Le contraste leur donnait un relief que je n’ai pas retrouvé, depuis, au même degré, dans la Péninsule. Chez le nouveau débarqué de Valence, d’Alicante ou d’Albaceite, je contemplais les traits intacts d’un type ethnique, qui s’opposait franchement à celui du Français, de l’Italien ou du Maltais, et dont je pouvais suivre les déformations ou les dégradations insensibles dans le colon espagnol, né en Afrique et adapté à son nouveau milieu. L’activité de ce peuple transplanté, et qui sommeillait encore dans sa patrie, me parut quelque chose de si intéressant à regarder, que j’en oubliais bientôt la friperie arabe et toute la couleur locale, chère à nos romantiques.

J’écrivis Le sang des races. Pour la première fois, dans le roman, j’envisageais l’Afrique, livrée à la concurrence des races méditerranéennes, comme un pays latin. Je me disais que, pour un esprit dégagé du dilettantisme, il n’y avait pas de spectacle plus passionnant que cette concurrence et que, d’ailleurs, c’était cela qui occupait tout le devant de la scène. Certes, je ne nie pas qu’il n’y ait toujours matière pour les variations les plus brillantes sur les vieilleries arabes ou mauresques, sur tout ce qui meurt dans l’Islam africain. Et je ne nie pas davantage que la vie actuelle de nos indigènes, avec tous ses conflits douloureux, n’offre de beaux sujets littéraires. Mais je soutiens que les nôtres, ceux de notre peuple ou de notre race, doivent passer d’abord. Enfin on me permettra de remarquer que, si bon nombre de nos romanciers se sont décidés à considérer les Arabes non plus comme des figurans de fantasia,