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Ses auberges ne flattent guère la sensualité. L’habitant n’y est pas obséquieux ni même empressé. A part deux ou trois attractions, banalisées jusqu’au dégoût, comme les danses ou les courses de taureaux, l’admiration des snobs ne sait à quoi s’accrocher. Il est entendu que l’art espagnol est, en général, dépourvu d’originalité : ce qui dispense de le comprendre. Quant aux paysages, ils n’offrent guère que des beautés spirituelles fermées au plus grand nombre, ou des outrances et des violences de lignes et de couleurs qui rebutent le passant. Les mœurs sont lettre close pour la plupart des voyageurs. Et ainsi l’Espagne reste, à nos yeux, un pays presque neuf, que la description littéraire n’a pas encore trop fatigué. En tout cas, il n’est point usé jusqu’à la corde, comme l’Italie, et il est douteux qu’il le soit jamais. Il se défend trop bien. On a pu dire irrévérencieusement qu’il y a, dans la littérature d’aujourd’hui, tout un « chichi de Venise. » Il n’y a pas encore, que je sache, de « chichi de Tolède... »


Telles sont les raisons qui me conduisirent, de bonne heure, vers l’Espagne. Mais il y a plusieurs Espagnes. Tout de suite et d’instinct, je me dirigeai vers celles qui vivent et qui agissent le plus intensément. Les grandes villes de joie, de labeur et de couleur, comme Valence, Séville, Barcelone, ont toujours été mes préférées.

Jusqu’ici, nos littérateurs ne se sont guère attachés qu’à l’Espagne des morts et des musées. Rien de plus légitime, ni de plus intéressant. Peu de nations ont un passé aussi riche en hauts faits, en belles images et en grands sentimens. Mais il ne faudrait pas qu’il y eût là un parti pris d’exclusion contre la vie contemporaine. Celle manie que nous avons de fermer les yeux a tout ce qui n’est pas l’archéologie, l’esthétisme ou l’histoire, a tout ce qui a cessé de vivre dans un pays, cette manie irrite extrêmement nos voisins, — aussi bien les Italiens que les Espagnols. Nous avons l’air de vouloir les humilier devant leurs grands ancêtres. Avec les meilleures intentions du monde, nous les blessons, en paraissant n’admirer que leur passé. Ainsi nos conversations se perdent dans le vide, et nous nous séparons fort mécontens les uns des autres.

En Grèce surtout, j’étais frappé de ce malentendu. Nous ne