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qu’enfin, dans l’avenir comme dans le passé, les seuls adoucissemens réels dont soit susceptible notre condition humaine seront les fruits de la charité et de la bonté, lesquelles n’ont rien à voir avec la science ! Pauvre Caliban, quand cesseras-tu d’écouter les flatteurs ?

Que M. Anatole France ait été du reste la première dupe de tous ces sophismes, — qu’il avait plus d’une fois réfutés jadis, — qu’en plaidant comme il l’a fait la cause des « prolétaires, » des Arméniens massacrés, des Finlandais opprimés, des révolutionnaires russes, il ait cédé généreusement à l’entraînement de son cœur, c’est ce que l’on n’a garde de nier ici. El l’on n’aurait qu’a applaudir à cette générosité même, si, trop souvent, elle n’avait pour revers ou pour rançon une sourde excitation à l’odieuse lutte des classes. Le « socialisme » de M. France n’est point pacifique : il combat, il proscrit, il veut détruire ; il est à base d’anarchie. Il a pour mot d’ordre essentiel, non point la devise de Gambetta qu’il trouve insuffisante : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi, » mais bien : « L’Église, voilà l’ennemi[1]. » Personne, je veux dire aucun écrivain depuis quinze ans, n’a plus fait que l’auteur de Crainquebille pour séparer « les deux Frances, » pour les dresser et les jeter l’une contre l’autre ; personne n’a plus applaudi aux mesures de persécution, d’exception, de spoliation et de proscription prises contre les prêtres et les moines, n’a plus contribué à la nouvelle révocation de l’édit de Nantes dont nous avons été témoins. Où est le temps où il déclarait, nous l’avons vu, qu’il ne serait jamais « ingrat » envers ses anciens maîtres de Stanislas, qu’il a pourtant poussés sur les chemins de l’exil ? Où est le temps où il proclamait « détestable et funeste » l’erreur qui consiste à croire que « la France date de la Révolution, » où il rêvait une « réconciliation de l’ancien esprit et du nouveau î) au palais et sous les ombrages de Fontainebleau ? Depuis quinze ans. M. France n’a plus fait « le pèlerinage de Fontainebleau. »

Comment ce subtil et ingénieux artiste, comment ce délicat écrivain, comment cet attique en est-il venu là ? En dépit des

  1. « Il (Gamtetta) lança une parole retentissante : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » coup de clairon qui sonnait la charge contre le vide. En désignant le cricléalisme comme l’ennemi, il détournait de l’Église les coups des républicains pour les attirer sur un être de raison, un fantôme d’État. » (L’Église et la République, p. 24-25.)