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fiches d’un Virgilius nauticus, M. Bergeret est ridicule : il l’est du moins dans l’Orme du mail et le Mannequin d’osier. Mais comme ce professeur chétif, maladroit et aigri, à l’esprit subtil, paradoxal et bizarre, n’est pas sans avoir quelques idées générales qui lui sont communes avec M. France, étant voltairien, pacifiste, antinationaliste, son biographe finira par le prendre en affection et par en faire son porte-parole. Pauvre M. Bergeret ! Il peut se consoler maintenant de « n’avoir aucun commerce avec des écrivains tels que MM. Faguet, Doumic ou Pellissier : » il est devenu le familier, le « double » de l’auteur de Thaïs ; et comme tel, il est probablement immortel.

C’est que, dans cette voie du réalisme discret et modéré, M. France trouvait l’utilisation de tous ses dons d’artiste épris de formes vivantes, d’observateur narquois, d’analyste ingénieux. Au fond, — qu’on s’en rappelle la curieuse préface, — c’est cette voie qu’il cherchait depuis les Désirs de Jean Servien. N’ayant pas assez d’imagination pour « se bien figurer les anciennes formes de la vie, » il s’était rabattu sur le « roman d’analyse, « et il avait entrepris d’ « écrire sur le monde moderne. » Mais, poète incorrigible, il n’avait pu se réduire à analyser la vie moderne, telle qu’elle était ; il y avait mêlé trop de romanesque ; il y a trop de romanesque dans Servien, dans Jocaste, même dans le Lys rouge. Cette fois, dans l’Histoire contemporaine, le romanesque a disparu : l’auteur peint la réalité des mœurs et des caractères d’aujourd’hui, telle qu’il l’a vue, dans leur platitude originelle, et il fait œuvre vivante, parce qu’il y a un accord secret entre les sujets qu’il traite et ses véritables aptitudes.

Trois choses cependant nous gâtent la vérité et l’intérêt de cette peinture. Et d’abord, le débordement de sensualité qu’on y rencontre, et dont il est impossible à un « honnête homme » de ne pas être un peu choqué. Les scènes d’alcôve, ou de fiacre sont décidément trop abondantes dans ces quatre volumes, et développées avec une complaisance quelque peu disproportionnée à leur importance. Les personnages, presque tous les personnages de M. France ne songent guère qu’à « la bagatelle, » et, si Mme de Gromance s’y était prêtée, il n’est pas jusqu’à M. Bergeret lui-même... Cela est vraiment excessif. N’avais-je même pas tort tout à l’heure de dire que la pudeur du langage est toujours respectée ? Les plaisanteries des habitués du libraire Paillot