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cette ironie perpétuelle, et si monotone à la longue, où M. France baigne, pour ainsi dire, chacun de ses personnages ? Ironie très complexe, et dont je n’ai garde de nier la grâce subtile et la perverse séduction. Si l’on essaie d’analyser les principaux élémens dont elle se compose, on croit y reconnaître l’habituel persiflage de l’ « artiste » à l’égard des « bourgeois, » des « philistins » qu’il coudoie dans la vie ; le facile, trop facile dédain du « Parisien » endurci pour les pauvres « provinciaux » qu’il rencontre ; le mépris transcendant du « philosophe » pour la tourbe humaine qui « ne pense pas. » Et encore une fois, que tout cela donne aux récits de l’Histoire contemporaine un air de vivacité spirituelle et légère, c’est ce qui est l’évidence même. Mais il y a le revers de la médaille. L’auteur semble prendre si peu au sérieux les personnages qu’il met en scène, que des doutes nous viennent sur la vérité de leurs portraits. L’illusion, qui ne demandait qu’à naitre, s’évanouit. Nous craignons d’être dupes. Nous voulions bien nous intéresser à des hommes, nous nous refusons à contempler trop longuement des fantoches. Et comme nous sommes hommes, après tout, comme nous sentons bien que nous ne sommes pas plus épargnés que nos frères du livre, nous nous révoltons contre cette continuité d’ironie, d’amertume et de pessimisme. Quoi ! parmi tous ces contemporains qui défilent devant nous, pas une âme honnête, droite et saine ! Rien que des intrigans, des coquins, des pleutres, des fêtards, ou des imbéciles ! Un seul être sympathique : c’est le chien Riquel. On peut, sans avoir grande illusion sur ses semblables, trouver cette vision du monde un peu sommaire. Il y a, même en province, des professeurs de littérature latine qui ne sont pas trompés par leur femme et leur meilleur élève ; il y a, même en province, de bons prêtres qui songent plus à sauver des âmes qu’à conquérir l’anneau d’améthyste. Tout cela est de l’ « histoire contemporaine » simplifiée pour l’exportation. M. Anatole France ne l’a point voulu, je le sais bien. Mais quand je songe à la diffusion de son œuvre hors de France, — depuis l’Affaire, — je ne puis m’empêcher de penser qu’avec Zola aucun écrivain français ne nous a plus calomniés aux yeux de l’étranger.

M. France a-t-il fini par sentir lui-même le danger de sa manière ? Ou bien, tout simplement, a-t-il éprouvé le besoin de se renouveler ? Ce qui est sûr, c’est qu’à partir de 1901, il a