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encore le lit où dormait, aux jours du pieux Numa, le Vélabre ceint de roseaux[1].


Et ceci encore


Le soleil trempait dans le cercle de brumes qui bordaient l’horizon son disque agrandi et rougi. Le ciel était semé, vers l’Orient, de nuées légères comme les feuilles d’une rose effeuillée. La mer agitait mollement les plis de vermeil et d’azur de sa nappe luisante[2].


Et ceci peut-être surtout :


Dans un ciel sans lune et sans nuées, la neige ardente des étoiles était suspendue en flocons tremblans[3].


Soyons assures que, si Flaubert avait pu lire cette dernière phrase, il en eût rugi d’admiration. Il aurait eu bien raison, le vieux Flaubert !

Ce n’est pas seulement le mérite de la forme qui fera vivre longtemps les meilleurs de ces contes ; les idées que l’auteur y a exprimées ou insinuées n’y nuiront certainement pas. Non que ces idées soient toujours justes : ce sont celles qui forment le fond des trois volumes Vers les temps meilleurs. Par exemple, dans les longues conversations qui relient l’un à l’autre les deux contes du recueil intitulé Sur la pierre blanche, entre une diatribe contre la Russie et une autre contre la politique coloniale, nous apprenons que M. Jaurès et M. Ribot, « sont tous deux pacifiques, » mais que « Jaurès l’est simplement, » tandis que « M. Ribot l’est superbement, » et « qu’il est temps pour la France de se résigner à la gloire que lui assurent l’exercice de l’esprit et l’usage de la raison[4] : » comme si cette gloire même, la France ne l’avait pas conquise et défendue les armes à la main !... Mais les idées, même discutables, même fausses, valent mieux en art que l’absence d’idées. Il arrive d’ailleurs au conteur, comme dans le Christ de l’Océan, de développer, sous une forme ingénieuse, une idée des plus heureuses, celle de l’humilité nécessaire du christianisme. Il est aussi fort intéressant et piquant, quand, dans les pages intitulées Par la porte de corne ou par la porte d’ivoire, M. France nous expose son rêve d’une cité future, de l’entendre dire qu’en cet heureux

  1. Sur la pierre blanche, p. 6-7.
  2. Clio, p. 182.
  3. Id., .p. 167.
  4. Sur la pierre blanche, p. 217, 223, 226-227, 232-234.