Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

redoutables, un sol qui semblait réservé aux prouesses équestres de fanfarons ennemis : « Ça y est ! dit un loustic ; le Mellah bouge ! les Teurs n’ont qu’à se bien tenir ! » Le propos courut comme un souffle dans les rangs et donna une vigueur nouvelle aux jarrets alourdis par le sommeil.

Soudain, le voile de brume se déchira. Par les brèches ouvertes dans les paquets d’ouate accrochés aux creux des ravins, aux saillies des rochers, le paysage apparaissait dans son imprévu mystérieux. En arrière, le bloc rougeâtre de Sidi-Kacem tapi dans un vallon évoquait une journée fameuse dans les annales de la colonne des Zaër. En avant, le plateau semblait finir au pied d’une ligne d’arbres rabougris, qu’écrasait encore un écran de montagnes toutes proches, aux profils tourmentés. Les cavaliers, dispersés en éventail protecteur, s’étaient arrêtés sur la bordure ; collés contre les troncs des chênes verts et des thuyas, la carabine menaçante, ils inspectaient avec précaution, et leurs bras esquissaient en signes d’appel des gestes prudens. « Le Grou ! le Groul » cria tout à coup un gradé. Imbert qui suivait de près, avec Merton, Pointis et quelques officiers, se précipita jusqu’à la lisière du plateau. Ils ne purent étouffer des cris d’étonnement et d’admiration.

A leurs pieds la rivière déroulait son étroit ruban vert sale visible par endroits dans un sillon d’au moins 350 mètres de profondeur. La teinte de l’eau se confondait avec celle des broussailles, des roches grises, des bancs de sable, des prairies étranglées entre les berges et les falaises qui servaient de piédestal au pays Zaër. Une épaisse forêt dévalait jusqu’au fond, et les stries du versant disparaissaient presque sous les feuillages denses et luisans. Vers l’amont, de l’autre côté d’une énorme coupure, le Djebel Bedouz dressait une barrière massive qui paraissait infranchissable. Vers l’aval, le bled Kséat, repaire maintenant désert et célèbre passage de pillards, dessinait un cirque dominé par des montagnes sombres. En face, un chaos d’arêtes, de sommets, d’aiguilles et de tables montait à l’assaut du ciel, et les ombres projetées par le soleil levant donnaient un aspect sinistre au manteau d’arbres touffus qui recouvrait ce socle gigantesque des pays beraber. Le plateau de Mserser, refuge de chefs rebelles, foyer d’intrigues et nid de dissidens, apparaissait lointain entre deux échancrures ; au Sud-Est, dominant la silhouette dentelée des monts, un cône violet indiquait