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plus tard encore dans les popotes d’officiers, on discourut sur les événemens du jour. Aux timides ou aux prudens qui évoquaient les dangers du guêpier où l’on aurait pu trouver un désastre, les audacieux opposaient les résultats obtenus sans coup férir : « Attendons la suite, disaient les premiers. — Soit ! ripostaient les autres ; nous verrons bien qui a raison. » Imbert, lui, croyait avoir porté aux dissidens un coup décisif. Il supposait que les chefs de la rébellion, les Zaïan qui leur donnaient asile et secours, seraient désemparés par la revanche qu’il avait prise sur les bords du Grou. Il voyait un heureux présage dans leur passivité peureuse et il pensait qu’il suffirait de montrer au loin sa troupe pour assurer la paix aux tribus ralliées de son secteur.

Mais le lendemain, joyeux encore de son facile triomphe, comme il flânait l’âme légère sur les chantiers du poste, la physionomie soucieuse de Merton qui venait vers lui l’intrigua : « Oh ! oh ! mauvaise nouvelles ?... — Oui, mon commandant, répondit Merton. Les Bou-Achéria qui sont campés à Mserser ont franchi le Grou après notre départ, accompagnés de trois ou quatre cents cavaliers. Ils ont entouré les douars que j’avais installés sur le plateau et les ont contraints à repasser la rivière. Seul, un groupe d’une dizaine de tentes, n’ayant pas été découvert, n’a pas suivi le mouvement. — Montons à cheval et allons voir ; quatre cavaliers d’escorte nous suffiront. » Et comme Pointis apparaissait botté dans l’avenue centrale du poste, Imbert lui cria : « Venez-vous avec nous ? — Oui, mais où ? — Là-bas ! prenez votre revolver ! »

Quelques minutes après, la petite troupe galopait vers l’extrémité du plateau. Au passage, elle s’était grossie de l’infatigable Saïd, de trois ou quatre cheikhs et d’une dizaine de partisans occupés aux labours, qui lâchèrent la charrue pour prendre leur fusil caché dans un sillon. En phrases hachées, Imbert et Merton commentaient le coup de main des Bou-Acheria. Imbert l’appréciait comme un insupportable défi. Merton, moins susceptible, ne dissimulait pas cependant qu’il méritait une riposte immédiate : « Sinon, disait-il, leur audace va être célébrée dans les marchés, et leur incursion accroîtra leur prestige déjà trop gênant. »

Tout en courant, ils avaient atteint la lisière du plateau. Ils plongeaient du regard dans la vallée profonde, et ce qu’ils virent