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lui manque (elle n’en souffre pas) l’expérience conjugale dont Renée est pourvue. Mais, innocente, elle n’est pas niaise. Quand M. de Climal est trop bon pour elle et vante les cheveux qu’elle a, « du plus clair châtain, » les touche, les caresse, elle remarque dans les yeux du bonhomme « quelque chose de si ardent » qu’elle se dit : « Il se pourrait bien faire que cet homme-là m’aimât comme un amant aime une maîtresse. » Petite fille avertie !… C’est que, dans son village, elle a vu des amans ; elle a entendu parler d’amour ; elle a lu, à la dérobée, des romans ; ajoutez « les leçons que la nature nous donne : » les regards de M. de Climal lui parurent « d’une espèce suspecte. »

M. de Climal sera éconduit. Marianne, en sanglotant, s’écriera : « Vous savez que je sors d’entre les mains d’une fille vertueuse qui ne m’a pas élevée pour entendre de pareils discours ; et je ne sais pas comment un homme comme vous est capable de me les tenir, sous prétexte que je suis pauvre. » Quitte à n’être pas un homme comme lui, le vieux libertin ne craint pas d’insister. Marianne, qui a les yeux baissés et mouillés de larmes, l’écoute cependant. Elle aura, pour le chasser, toute son énergie, dès qu’elle sentira que M. de Climal la compromet auprès d’un aimable garçon, jeune et dont elle est éprise. Alors, elle rend à M. de Climal l’argent et les robes, cadeaux qui désormais l’offensent ; ou bien veut-il qu’elle jette par la fenêtre argent et robes ?… « Je détachais mes épingles et je me décoiffais, parce que la cornette que je portais venait de lui, de façon qu’en un moment elle fut ôtée, que je restai nu-tête avec ces beaux cheveux dont je vous ai parlé et qui me descendaient jusqu’à la ceinture. J’étais dans un transport étourdi qui ne ménageait rien ; j’élevais ma voix, j’étais échevelée, et le tout ensemble jetait dans cette scène un fracas, une indécence qui alarmait M. de Climal et qui aurait pu dégénérer en avanie pour lui… » Renée Néré danse dans un café-concert. Soudain, l’on frappe à la porte de la loge où elle s’habille. Paraît un inconnu, grand, sec et noir, qui salue et débite une phrase de trop vive admiration. « Je ne dis rien à cet imbécile. Moite, essoufflée encore, la robe demi-ouverte, j’essuie mes mains en le regardant avec une férocité si visible que sa belle phrase meurt, coupée. Faut-il le gifler ? marquer sur ses deux joues mes doigts encore humides d’eau carminée ? Faut-il élever la voix et jeter à cette figure anguleuse, toute en os, barrée d’une moustache noire, les mots que j’ai appris dans les coulisses et dans la rue ?… » Comme M. de Climal auprès de Marianne, l’« envahisseur » de Renée insiste. Alors : « Vous allez filer tout de suite ! J’ai fait preuve d’une longanimité incompréhensible et je