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Dans le récit qu’elle fait de ses aventures, elle omet presque toujours les événemens ; ou elle les mentionne très vite. Les événemens comptent très peu ; ce n’est pas eux qui mènent l’histoire : et l’histoire s’accomplit dans la pénombre de la rêveuse pensée.

Il y a deux sortes de psychologie : celle des idées claires et distinctes, et puis celle des petites perceptions. Il y a la psychologie de la raison et celle des velléités ou de l’instinct. Nous ne sommes pas tout uniment raison ; et les psychologues des idées claires et distinctes négligent quelquefois le principal. Mais il ne s’agit pas seulement des systèmes psychologiques : il s’agit de la vie morale. La prépondérance accordée aux petites perceptions, que d’autres appellent subconscience, est le signe d’une transformation mentale très singulière. Si l’on s’en rapporte aux velléités et à l’instinct, si l’on se livre, corps et âme, à la subconscience, n’est-ce pas qu’on a renoncé aux principes clairs et distincts et qu’on échappe au net gouvernement de la raison ? La psychologie de la Vagabonde et l’Entrave caractérise à merveille l’héroïne de Mme Colette Willy, sa détresse morale. Or, la psychologie des petites perceptions, avec sa minutie, avec son extrême ténuité, avec sa finesse précieuse et avec son incertitude, n’est-ce pas un peu, — sous une forme nouvelle et due en partie à des philosophies récentes, — n’est-ce pas un peu l’ancien marivaudage ? Non le marivaudage des mots, celui des sentimens. Au temps de Marivaux, la psychologie cartésienne a commencé de se défaire ; et l’on essaye d’une autre psychologie, moins évidente et qui mène à la psychologie des petites perceptions ou de la subconscience. Il y a, entre Marianne et Renée, cette analogie encore.

Les velléités suffisent-elles à ordonner une vie morale ? Voilà le problème auquel sont, comme involontairement, consacrées la Vagabonde et l’Entrave. Oui, semble répondre la Vagabonde. Renée a esquivé les tentations redoutables et sauvegardé sa chaste solitude. Mais la réponse de l’Entrave est : non. Renée a cessé d’être cette vagabonde si fière. Elle songe : « Être libre !... Je parle tout haut, pour que ce beau mot décoloré reprenne sa vie, son vol, son vert reflet d’aile sauvage et de forêt... En vain !... » Elle est tombée ou retombée dans le servage de l’amour. Un bel amour ? Non pas. Un amour qui a paru beau un instant, grâce à la ferveur première ; et puis le plus malheureux des amours. L’amoureux, quelque temps, abandonne Renée. Il revient à elle ; pourquoi ? Et elle ne se dégage pas ; pourquoi ?.. « Que nous revivions ensemble, depuis deux mois, c’est un miracle devant lequel je m’incline, comme on doit devant un prodige, sans