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du corps... » Elle a cherché sa liberté ; elle l’a cherchée dans le vagabondage même. Puis elle n’a que faire d’être libre. On lui dit : « Quitte ce métier, reviens parmi tes égaux ! » Elle répond : « Je n’ai pas d’égaux, je n’ai que des compagnons de route... » Quand elle a bien souffert de tous les affronts que sa destinée lui inflige et de toute l’inutilité des jours qui passent n’apportant rien, elle écrit : « Il y a des jours, — moi qui me regarde vieillir avec une terreur résignée, — des jours où la vieillesse m’apparaît comme une récompense... » Elle voit une fille absurde et qui, de sa voix éclatante, fait beaucoup de bruit. Elle se demande : « Est-elle gaie ? Les hommes assurent que oui, et moi je trouve que non... La gaîté, ce n’est pas une agitation où manque la sécurité, ce n’est pas un bavardage, ni l’appétit de tout ce qui enivre. La gaîté, c’est quelque chose de plus calme, il me semble, de plus sain et de plus grave... » Et ne va-t-elle pas dire que la gaîté est quelque chose de plus triste ?... Il lui a semblé qu’elle était curieuse de liberté ; mais elle était désireuse d’amour. Puis elle écrit : » Quelque chose a passé entre nous : l’amour, ou seulement l’ombre longue qui marche en avant de lui ?... Déjà tu as cessé de m’être lumineux et vide. J’ai mesuré tout le danger, le jour où j’ai commencé de mépriser ce que tu me donnais : un joyeux et facile plaisir qui me laissait ingrate et légère, un plaisir un peu féroce, comme la faim et la soif, innocent comme elles. Un jour, je me suis mise à penser à tout ce que tu ne me donnais pas : j’entrais dans l’ombre froide qui chemine devant l’amour. » Trompée enfin par tous les plaisirs, elle a trouvé son refuge dans la douleur.

Quelle souplesse du talent ! Les phrases, qui parfois ont la sécheresse du petit fait qu’elles notent, ou la rapidité d’un geste impertinent, ou le papillotement des lumières folles, ou le déhanchement de la danseuse exaltée, savent aussi s’allonger comme cette ombre qui chemine devant l’amour, se colorer de crépuscule et répandre les musiques de la mélancolie. Mais la souplesse du talent n’est pas, en notre temps, la qualité la plus rare. Beaucoup plus rares, la justesse, la simple franchise de l’expression, l’art d’employer peu de mots et de remplacer la profusion par l’exactitude. C’est l’art de Mme Colette Willy. Je lui reproche seulement les gros mots ; et je les préfère, disais-je, à des néologismes : car nous veillons à la littérature, premièrement ; mais, parmi les gros mots, il y a une terrible foison de néologismes. Mme Colette Willy écrit fort bien. Pourquoi dit-elle : « dîner en tête à tête » avec Brague (ou Hamond) ? Marivaux, dans la Vie de Marianne, écrit : « M. de Climal. tête à tête avec moi, ne ressemblait