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XVIe siècle pensait tout juste le contraire. Cette pensée était assurément peu faite pour donner de la modestie à nos lointains devanciers Aussi, dès la fin du XVe siècle, un d’entre eux ne craignait-il pas d’écrire : « Ceux qui viendront, je ne sais ce qu’ils feront, mais je crois qu’ils auront fort à faire pour aller plus avant dans l’étude des trois choses que j’ai dites (composer, chanter et jouer) et que j’ai écrites ici pour que ceux qui liront ce traité dans les temps futurs se rendent compte de ce que l’on compose aujourd’hui. » Vous savez, n’est-ce pas, combien nous sommes éloignés aujourd’hui, nous autres critiques musicaux, d’une aussi fière assurance.

Elle se peut excuser, dans une certaine mesure, par la très haute, très religieuse et même très sainte idée que musicologues et musiciens d’alors concevaient de la musique. Ce n’est pas seulement, ce n’est pas surtout pour eux-mêmes qu’ils tiraient vanité de leur art ou qu’ils s’en faisaient gloire. Ils rapportaient à l’auteur de toute beauté cette beauté musicale qu’ils estimaient supérieure à toute autre. Dès 1470, on pouvait lire dans le Vèrgel de mùsica, du bachelier Tapia, des considérations de ce genre : « Dieu tient le monochorde du monde si bien accordé et placé au point de naturelle perfection, qu’il nous fait avec lui la musique dont nous avons besoin. » Souhaitons-nous de savoir comment la musique nous enseigne à servir Dieu, le mystique bachelier nous répondra « que, si l’on en croit saint Séverin, la musique est en effet d’un grand secours pour cette fin. Les autres mathématiques consistent seulement, dit-il, en la spéculation, et malgré qu’on les possède très à fond, elles ne sont nullement profitables pour le ciel. Mais la musique est non seulement bonne pour l’entendement en tant que science spéculative, mais encore profitable pour les mœurs et la vertu... Par l’harmonie musicale, on obtient la grâce de la contemplation... Tous les espaces des temps dans les choses qui naissent et qui meurent, ne sont que les syllabes et les points dont se forme un chant merveilleux, par la connaissance duquel nous parviendrons à contempler la sagesse de Dieu. »

Ouvrons un autre traité de la même époque, le Lux Bella, de Domingo Duràn, et surtout le commentaire ajouté par l’auteur à son propre ouvrage. Nous y apprendrons que l’art de musique « est constitué pour servir et louer Notre-Seigneur ; que, dans les sciences pratiques, il n’en est aucune qui dirige le cœur humain vers la charité et la contemplation autant que la musique ; qu’elle est une science divine et humaine qui embrasse et provoque les cœurs à l’amour de Dieu ; que sans elle on ne peut, en désirant avec zèle le service de