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sereine apparaît la figure de ce Guerrero, que M. Pedrell a nommé « le chantre de Marie. » Son pèlerinage en Terre Sainte, à l’âge de soixante ans, au milieu et au mépris de périls et d’épreuves de tout genre, est un miracle de foi, d’audace et de sainte allégresse. Revenu à Séville, comme il donnait le peu de bien qu’il avait aux pauvres, l’archevêque le pria d’abord ou plutôt le força de manger à sa table. Mais cela ne put durer. L’église était la demeure perpétuelle de l’artiste et, connue elle fermait de bonne heure, on dut pratiquer dans la grille une ouverture, par où le prélat faisait passer le souper qu’il envoyait au pieux musicien.

Parlerons-nous d’un Comès, le plus grand maître de l’école valencienne, l’école triomphante, et de certain Miserere, qui suffirait, suivant M. Pedrell, à la gloire d’une nation. « Horace avec deux mots en ferait plus que vous, « dit Agnès à ce radoteur d’Arnolphe. Ce sont les notes ici, les notes seules, qui sauraient faire ce que ne feront jamais les mots. Encore une fois, où nous sera-t-il donné de les entendre, ces notes révélatrices ! De celles qu’un Victoria, le génie souverain de l’Espagne mystique, a formées avec l’air âpre et pur de sa Castille natale, quelques-unes au moins nous sont familières. Elles nous font trouver un accent plus vif, plus vivant, aux pages nombreuses et dernières que M. Collet consacre, en manière de conclusion, de couronnement ou d’apothéose, au sublime musicien d’Avila. Il nous dit, ou nous redit le peu que l’on sait de sa vie, quitte à contredire ce que l’on croit savoir de sa mort. « El gran sacerdote español, » comme l’appelle un de ses historiens, le digne concitoyen de la « mistica doctora, » ainsi qu’un autre a nommé sainte Thérèse, ne mourut point en Allemagne, mais en revenant des pays d’outre-Rhin, à Madrid peut-être, peut-être ailleurs, assurément en sa patrie. A cette erreur de fait, il semble aussi que M. Collet ajoute une conjecture un peu bien hasardeuse, quand il essaie d’établir, en terminant, un rapport de filiation, — le mot n’est pas trop fort, — entre le génie d’un Victoria et celui d’un Jean-Sébastien Bach. Mais, en dépit de ces réserves, le chapitre final sur Victoria n’est point indifférent. Il achève avec éclat un ouvrage, qui, par une pente bien ménagée, s’élève, comme il le devait, jusqu’à ce glorieux faîte. Et puis, dans un ordre d’idées plus générales, l’intention d’un tel livre, nous le répétons, est louable, et l’effet en peut être salutaire. Ne perdons pas une occasion de rappeler les grands musiciens de la voix, ou des voix, à notre siècle démesurément symphonique ; à notre siècle dont on attaque la religion, les grands musiciens religieux. Leur art est digne, il est capable de