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tard, jusqu’à en être parfois malade. » Il étudiait avec ardeur les sujets qui enchantaient son imagination. Il est, en un certain sens, un autodidacte ; il a lui-même dirigé ses études et ses recherches ; il connaît les maîtres, mais il ne jure sur la parole d’aucun. Il serait difficile de citer ceux qui ont exercé sur lui une particulière influence, si ce n’est peut-être Saint-Simon et les Saint-Simoniens, Le Play, les grands « catholiques libéraux, » Lamennais, Montalembert, Lacordaire, dont le lyrisme vibrant, la générosité entraînante, le romantisme religieux, séduisirent sa jeunesse et auxquels il a consacré de belles pages où s’exhale l’ardeur d’un disciple, mais d’un disciple qui n’abdique pas son sens critique et qui juge les idées avant de les faire siennes. Son père, député de Lisieux en 1848 et pendant les premières années de l’Empire, était lié d’amitié avec Guizot et l’on pourrait trouver, chez Anatole Leroy-Beaulieu, quelque chose de l’âme rigide du grand doctrinaire ; mais il ne faudrait rien exagérer ; le disciple, si disciple il y a, s’est émancipé. Par son milieu familial, il était en relations avec les Saint-Simoniens, qui commençaient à monnayer les puissantes utopies du prophète pour en faire sortir le magnifique essor industriel et commercial de la France sous le second Empire ; il doit, à cette école, la notion de l’importance essentielle de la religion dans la vie des sociétés et la pleine compréhension de la transformation radicale de la vie des grandes nations civilisées par le développement du machinisme, de l’industrie et du crédit. Les questions religieuses et les questions économiques, dans lesquelles Saint-Simon et ses disciples avaient apporté des vues si originales, seront aussi l’objet favori des études d’Anatole Leroy-Beaulieu ; mais là, sans doute, s’arrête la ressemblance, et encore faut-il se défier de certaines analogies de surface qui cachent de profondes et décisives différences.

Il est nécessaire de dire, pour éclairer la physionomie morale d’Anatole Leroy-Beaulieu, qu’il jouissait, par sa famille, d’une large aisance. La formation si particulière qu’il put se donner n’eût pas été possible s’il avait dû faire carrière, gagner son pain et celui des siens. La fortune, souvent corruptrice pour les âmes faibles, devient, pour les individualités fortes et naturellement élevées, un merveilleux outil de formation. La nécessité du travail régulier et quotidien, qui soutient les caractères sans relief et augmente leur rendement, peut aussi couper les ailes d’un talent qui voudrait prendre son essor. La misère et la persécution