Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/812

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lyon par la Saône ; les bateaux, à la fin de l’ancien régime, s’y étaient améliores plus qu’ailleurs ; leurs cabines, tendues de soie, ressemblaient à de petits salons où prenaient place une trentaine de personnes. Sur le Rhône au contraire, la « diligence d’eau, » sale, sombre et mal odorante, est peu confortable pour qui n’a pas à bord sa chaise de poste où il peut se réfugier. Les eaux sont-elles basses, on échoue fréquemment sur un banc de sable, où il faut passer la nuit, en attendant que le batelier réunisse quelque 30 ou 35 chevaux pour se remettre à flot. On couchait à Vienne, à Valence, au Pont-Saint-Esprit, repartant chaque fois avant l’aurore pour arriver à Avignon en quatre jours. Au Pont-Saint-Esprit, dont les arches étroites étaient assez difficiles à passer, vu la rapidité du fleuve, il arrivait quelquefois des accidens ; mais les voyageurs, qui ont quelque appréhension que le bateau ne se brise ou chavire, sont descendus à terre avant le passage sous le pont et réembarqués après ce dangereux défilé ; « de la même manière, remarque un Anglais, qu’à Londres au London-Bridge (1767). » A la remonte, les bateaux étaient tirés par des bœufs qui, au passage du pont, nagent sous une des arches, leur conducteur assis entre les cornes de l’animal attelé en tête. — Sur le canal royal du Languedoc, le bateau-poste mettait quatre jours de Béziers à Toulouse ; chacun apportait son vin et ses provisions de voyage, et l’on débarquait aussi pour coucher.

Il s’était créé sous Louis XIV, entre les divers modèles de voitures publiques, une sorte de hiérarchie dont « le carrosse » tenait la tête, sans être d’ailleurs bien attrayant : « nous partirons demain, écrit La Fontaine en 1668, et prendrons au Bourg-la-Reine la commodité du carrosse de Poitiers qui y passe tous les dimanches... Nous attendîmes trois heures, conte le fabuliste, Dieu voulut enfin que le carrosse passât ; point de moines, mais en récompense, trois femmes, un marchand qui ne disait mot et un notaire qui chantait toujours et qui chantait très mal. Il reportait en son pays quatre volumes de chansons. Parmi les trois femmes, il y avait une Poitevine qui se qualifiait comtesse ; elle paraissait assez jeune et de taille raisonnable, témoignait avoir de l’esprit, déguisait son nom et venait de plaider en séparation contre son mari... toutes qualités de bon augure si la beauté s’y fût rencontrée, mais, sans elle, rien ne me touche ! »