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sans mesure ; conflit, en Europe, des grandes forces historiques ; naissance, sous l’influence des idées françaises, et application du principe des nationalités qui unifie l’Italie, agite la Pologne, rassemble les Allemagnes et qui, finalement, faussé par Bismarck, adapté aux besoins de la force germanique, se retourne, en 1870, contre la France : tels sont les grands contrastes qui se déploient devant les yeux d’Anatole Leroy-Beaulieu. Il se passionne pour la « liberté des peuples, » son cœur est avec tous les révoltés du droit contre la force ; il est tenté, en même temps, de se faire garibaldien et zouave pontifical. Ce joli trait, qui peint si bien les élans généreux de son caractère, je l’emprunte à l’excellent article que M. Pierre de Quirielle lui a consacré, au lendemain de sa mort, dans la Revue hebdomadaire. Déjà, dans cette anarchie des idées, dans ce déchaînement des forces, Anatole Leroy-Beaulieu cherche, parmi tant de ruines, ce qui demeure, et, parmi tant de sujets de divisions et de guerre, ce qui unit.

Nous avons, sur les premiers contacts de cette intelligence curieuse et de cette sensibilité délicate avec la vie, avec l’art, avec la politique, avec l’amour, un précieux témoignage, ce sont ces « fantaisies poétiques » qu’il publiait à vingt-cinq ans sous le titre : Heures de solitude. Rien n’est plus révélateur pour l’histoire d’une intelligence d’écrivain que ces premières confidences de son cœur à sa plume ; il est caractéristique qu’Anatole Leroy-Beaulieu ait débuté par un volume de vers et un roman. Il ne faut chercher dans ses poésies ni l’éclat du verbe, ni la fougue des passions, ni la richesse du rythme ; ces vers n’annoncent pas un Lamartine, mais ils nous montrent dans quelles avenues s’engageait déjà sa pensée et quelles régions sereines elle habitait. L’épigraphe, empruntée à Schiller, dit assez l’inspiration de ces rêveries :


Nicht langer wollen dièse Lieder leben
Als bis ihr Klang ein fühlend Herz erfreut
Mit schönern Phantasien es umgeben
Zu höheren Gefühlen es geweiht.


« Ces chants auront assez vécu s’ils résonnent jusqu’à une âme sensible, s’ils peuvent la réjouir, l’entourer des plus belles fantaisies et l’élever à de plus hautes pensées. » C’est une âme sensible qui parle aux âmes sensibles, et qui, à travers les fantaisies