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ennuis auxquels les anciens n’étaient point soumis. Pour le petit groupe d’oisifs aisés qui n’ont d’autre ambition que de « tuer le temps, » ils y arrivent à le tuer plus élégamment par le mouvement perpétuel qu’ils se donnent. Grâce à la multiplication des moyens de transport, ils alternent les tournées lointaines avec les stations estivales ou hivernales, les allées et venues répétées d’un domaine à un autre et de la capitale au fond de la province. Mais leur vie n’en est pas très notablement embellie..

Il n’en est pas de même de la masse populaire ; pour elle, la transformation dans les modes, le train et le prix de la circulation a été vraiment un bienfait social, et d’abord en ceci : qu’elle dispose maintenant de biens et goûte des plaisirs dont les riches autrefois avaient le monopole. Les quinze cent mille chevaux attelés à la carriole du paysan, les trois millions cinq cent mille bicyclettes urbaines ou rurales ont apporté beaucoup plus de confort et rendu plus de services réels aux classes agricoles et ouvrières que les 76 000 automobiles n’ont fait aux classes bourgeoises ou opulentes.

De même, la locomotion rapide et à bas prix des chemins de fer a pour caractère et pour résultat principal un nivellement des jouissances : à la foule des salariés modestes qui n’avaient ni le temps ni l’argent pour se déplacer naguère, elle procure, soit le gain meilleur au loin, soit le retour périodique au pays natal, soit l’excursion de vacances, l’envahissement pendant quelques jours de Paris, des plages balnéaires, du site renommé dont le souvenir, tranchant ici sur la monotonie de l’existence, charme des millions de foyers laborieux.


G. D’AVENEL.