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Notre esprit, à Rome, se dilate, en évoquant les philosophies de l’action qui, du Forum au Vatican et au Quirinal, évoluèrent en grandeur, trois mille ans. Ainsi notre pensée s’exalte, sur le sol de l’Afrique occidentale, si, par exemple, au marché de Timbo, une Carthaginoise peuhle, sous le pschent presque égyptien, et, dans le pagne serré jadis contre la croupe de Cléopâtre, nous vend une lampe de fer semblable au modèle qui, sans doute, éclairait un licteur de Scipion.

Troubles intenses et profonds de la pensée devant une telle série d’efforts soudain ressuscites par un geste naïf. Les administrateurs et les capitaines de notre empire en ressentent les effets à chaque heure. Et il faut attribuer à ces constantes suggestions les talens de ces hommes qui nous éblouissent tant, lorsqu’ils nous montrent les résultats prodigieux de leur triomphe, là-bas.

Le gouverneur général, M. Merlaud-Ponty, parachève l’œuvre des Faidherbe, des Archinard, des Roume et des Galliéni. Mieux que tout autre, il a mesuré l’ampleur de ces résultats. Parcourir, avec lui, les petites rues normandes de dorée bâties par nos traitans du XVIIIe siècle, l’entendre, sous le balcon de Boufflers, citer les lettres du maréchal à Mme de Sabran, et recueillir, de cette bouche, telles anecdotes de l’époque, c’est un délice rare. Si l’on écoute les leçons de l’économiste décrivant l’outillage parfait dans le port de Dakar, halte pour les grands paquebots européens en route vers l’Amérique Latine, on admire l’œuvre géante. Au sortir du camp habité par les tirailleurs sénégalais où les Salammbô dansèrent en l’honneur de Tanit, au clair divin de la lune, entendre, sous les ombrages du jardin, devant la façade majestueuse du Gouvernement, tels récits d’héroïsmes quotidiens, telle énumération de chiffres attestant la prospérité de notre nouvelle Carthage, et la réalité des promesses incluses dans ses contrées diverses, le long des rails qui s’insinuent dans la forêt, qui traversent les vieux royaumes ouolofs, sérères et mandingues, qui multiplient leurs opulences, on goûte intensément l’orgueil d’être le compatriote de ces hardis civilisateurs.

Je tache de consigner dans un livre, que j’intitulerai, je Crois : Notre Carthage, ces émotions de notre pensée. Voici, pour l’instant, les idées que provoque, chez le touriste, la promenade à Tombouctou. La conquête de cette ville fut, à nos