Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/858

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crénelés, de murs innombrables et défensifs, de constructions trapézoïdales, de remparts lointains, de quartiers uniformes, de faubourgs en paillotte, à demi noyés, là-bas, dans la lumière des sables. L’azur aveuglant du ciel n’a pas toujours encadré les blondes pyramides de Djinguer-Ber et de Sankoré toutes hérissées de poutres en saillie, et qui s’offrent si noblement à la vue du touriste comme les sommets nécessaires de cette ville géométrique, de cette ville aux lignes roides, faite de murs qui découpent le ciel, selon leurs masses sommairement polyédriques, accolées sous un ensemble de toitures en paliers où, seuls, un pot terne, une natte incolore, attestent, de-ci, de-là, quelque probabilité de vie humaine. Bien moins que n’en évoquent les objets latins survivant parmi les ruines de Pompéi. Cet horizon de sables montueux et de buissons rabougris n’a pas toujours encerclé, de son atmosphère onduleuse, un si formidable ensemble de logis compacts et pressés pouvant défendre, contre la chaleur, contre l’ennemi, cinquante mille personnes, et davantage, soixante-dix mille, a-t-on supposé.

Pour apprendre toute l’évolution de la capitale saharienne, il faut quitter le spectacle de cette ville grandiose, sévère et muette, déserte en apparence comme l’aridité sans limite des dunes. Après un repos des yeux dans l’obscur de quelque salle propice, éventée, garnie de couleurs sur les tentures soudanaises, sur les coussins en cuir, et de lueurs sur les aciers des armes touareg, sur les cuivres des tasses et des aiguières marocaines, il faut se rendre au puits voisin. Vers l’an 1100 il fut le lieu favorable aux premiers campemens, la raison du choix décisif, pour laisser, en cet endroit, comme garde permanente, la famille d’une aïeule avisée. Tin-bok-tou, en berbère, signifierait peut-être « place de la vieille. »

Au moment de la crue, le courant du Niger, si elle est forte, pousse, non loin de ce lieu, à l’Ouest de la ville, une quantité d’eau. Elle s’avance, depuis Kabara, dans une assez longue dépression du sol, et laisse, après la décrue, une série de lacs, d’étangs, de mares, de flaques. Le liquide ne se corrompt pas, de longtemps, dans ces récipiens de sable pur. Il se filtre et s’infiltre, reparaît de-ci, de-là, au creux d’entonnoirs naturels dont les parois, transformées peu à peu en humus, se sont recouvertes d’herbes et de buissons. Même des rôniers y poussèrent, obliques et courbes avec leurs éventails verts au sommet.