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ou accompagnées. Et, s’il a mis tout son génie dans ses Fables, si l’on y trouve des contes qui égalent les meilleurs de ses Contes, des épîtres supérieures à ses Épitres, plus de lyrisme que dans ses Odes, plus de grandeur que dans ses Poèmes, c’est pourtant par ces œuvres secondaires, où ses qualités éparses se laissent mieux saisir, que nous arriverons à comprendre comment il a su nous donner, dans le court espace d’une fable, l’impression rapide et définitive de presque toutes les formes de la poésie. Et elles nous offrent une image si sincère de sa vie !


On saura gré à M. Roche de n’avoir jamais oublié, dans son aimable livre, qu’il écrivait la vie d’un homme qui n’a été que poète et artiste, et artiste autant que poète. Si j’avais à la résumer, je n’insisterais guère sur ses origines champenoises, parce que la Champagne tient peu de place dans son œuvre, que, sauf son expérience des paysans et des petites gens, il n’a rien eu d’un provincial, et qu’au surplus j’ignore en quoi consiste l’esprit champenois. Les hommes du XVIIe siècle sont beaucoup moins de leur province que ceux du XVIe ; et ceux du XVIIIe n’en seront plus du tout.

Mais je remarquerais qu’il n’a pas reçu la forte instruction de la plupart de ses grands contemporains ou, pour mieux dire, qu’il s’est instruit lui-même, comme au hasard. Les Racine et les Boileau ont eu leur bagage prêt de bonne heure. Ils ont approfondi plus qu’ils n’ont étendu leurs connaissances. La Fontaine, lui, a continué d’apprendre. Ce qu’on leur avait enseigné, il le découvrait ; et le plaisir de la découverte, qui est si vif chez les autodidactes, mais qui ne s’accompagne chez lui d’aucun gonflement d’amour-propre, se traduit par une fraîcheur d’impression que je ne puis comparer, au XVIIe siècle, — le discernement en plus, — qu’à celle de Mme de Sévigné. Il a été toute sa vie de découverte en découverte, et bien plus loin que ses amis. Bernier lui raconte ses voyages ; et il découvre l’Orient. Mme de La Sablière l’entretient de ses expériences scientifiques ; et il découvre le soleil. Il découvre aussi l’Angleterre ; et il est un des premiers à croire, sur la parole de Saint-Évremond, que « les Anglais pensent profondément. » On sait quelle réputation, au XVIIIe siècle, le pays de Montaigne, de Descartes, de Pascal,